Perec, cet écrivain triste.
Même dans ses ouvrages sensés être drôle, j'ai toujours senti une certaine tristesse qui me rebutait. Maintenant je comprends mieux.
Dommage que la 4e de couverture, rédigée par Perec, dise déjà tout, encore que. Le livre alterne un chapitre d'autobiographie et un chapitre d'oeuvre de fiction. Mais dans ces dernières, il n'y a pas que l'histoire utopique de l'île de W. Dans les premiers chapitres, Perec a inséré des fragments d'une oeuvre qui le met en scène, où il rencontre un Allemand appelé Afelstahl, qui lui indique qu'il a usurpé l'identité d'un autre dans son enfance, mais que cet autre, que l'on croyait mort dans un naufrage, reste introuvable. Puis, dans une 2e partie, les fragments d'autobiographie alternent cette fois avec ceux de la contre-utopie de W, île où toute l'activité est tendue vers les jeux olympiques, et où l'on se rend compte progressivement qu'elle est basée sur un régime totalitaire qui mime l'univers concentrationnaire.
L'alternance de fiction et d'autobiographie est intéressante à plusieurs niveaux :
- Tout d'abord, évidemment, parce que l'histoire de W. serait le développement d'une idée que Perec aurait eu enfant, à base de dessin et de quelques idées gribouillées dans un cahier. Evidemment, Perec développe et radicalise cette idée, puisqu'arrivé à l'âge adulte, il arrive à en dégager mieux les tenants. Ce n'est pas un souvenir d'enfance, c'est une rénovation truquée, mais qui laisse transparaître des sentiments d'enfant face à la violence de la guerre (dont il ne se souvient pas), à la séparation brutale d'avec ses parents, aux années où jusqu'à 8 ans, il n'a cessé de er, orphelin juif, d'une "tante" à une autre, d'un orphelinat à un autre.
- Deuxièmement, la partie autobiographique n'en est pas une. Perec a des souvenirs très épars de l'exode, puis des différents foyers où il a vécu. Comme il l'explique, ses souvenirs se sont parfois confondus avec ceux de camarades, ou mélangent différentes époques. Il procède de deux manières, toujours aussi méthodique.
Tout d'abord il reprend des tentatives d'autobiographie précédentes, visiblement romancées, à une époque où il n'avait mené qu'une enquête superficielle sur ses parents. Il y ajoute une série de notes de bas de page très amusantes et horripilantes, dans lesquelles il corrige maniaquement les inexactitudes. Les notes sont donc écrites CONTRE le texte dont elles dépendent. Au début on est dérouté, mais c'est intéressant. On en retire l'idée d'une impossibilité d'échapper à la littérature, au style.
Sinon, il a recours aux documents : des photos de ses parents ou de lui. Il les décrit maniaquement, fait des interprétations à partir de chapeaux, de boutons, d'hypothèses raisonnables. Il raconte aussi ce qu'on lui a raconté, et la manière dont cela ne colle pas toujours avec ce dont il se souvient. Il a notamment plusieurs souvenirs de fracture, d'accident, qui sont apparemment des rêveries engendrées par des détails réels ou des accidents arrivés à d'autres. Derrière cette activité de récolte du é, on sent le besoin d'amour, la solitude de l'orphelin triste.
Un livre que j'ai trouvé fort sombre, qui renseigne surtout en creux sur Perec et qui offre une réflexion intéressante sur l'impossibilité de faire un récit positiviste de sa propre histoire.