« W ou le souvenir d’enfance » est un roman autobiographié (Pérec s’appuie sur des écrits, des photos et des objets relatifs à son é) dont la construction extrêmement précise, tant par le choix des mots, des actions que de la chronologie, se rapproche d’une équation mathématique, une équation de vie. Avec ces deux récits qui se croisent, l’un où l’auteur reprend laconiquement et tout en distanciation les bribes de premières années d’existences, l’autre où il recrée une société idéale sous le nom de « W » se situant sur une île perdue d’Amérique du sud, il pose les données. Données relatives, puisque la progression des deux histoires va évoluer, de manière croissante et décroissante, que l’on imagine très bien visuellement sous forme de courbes. Le point de rencontre se faisant à la toute fin. La lecture de cette œuvre surprend. Perec est aussi peu prolixe aux sentiments quand il s’agit de revenir sur son enfance traumatisée (perte des parents, Shoah, déracinement, isolement) qu’il s’emballe sur cette société imaginaire, semblant présenter tant d’atouts, démocratiques, d’ordre, où chacun semble avoir sa chance. La curiosité l’emporte, et au lecteur de progresser dans ses réflexions au rythme des contraintes imposées par l’auteur. Plus ce dernier reconstruit son parcours, non sans difficulté d’ailleurs, plus une espèce d’intimité empathique s’installe. Pérec occultant l’horreur, et donc l’émotion à vif, il nous revient la charge de recomposer, ou de s’horrifier sur les faits. Parallèlement à cela, l’engouement du début pour cette vie idéalisée sur « W » (plus humanisée que chez Thomas More, au moins au début) fait place à un dégoût progressif où le seul salut semble être la fuite sous toutes ses formes. La dichotomie du début des récits s’inverse, Perec exorcise de fait sa culpabilité de survivant de la Shoah, plaçant la vie, quelque soit ses vicissitudes comme unique vengeance. Ce mépris pudique loin de toute haine, donne au message force et solidité. Pérec se souvient de s’oublier, mais jamais il n’oubliera l’horreur et les crimes perpétrés par le régime totalitaire nazi, qui n’a cessé de faire ici où là des émules depuis. Le pouvoir de Pérec sur les mots, la mécanique littéraire retenue et cette émotion si contenue qui finit par exploser font de « W ou le souvenir d’enfance » est une œuvre magistrale et exemplaire.