«Ce livre inépuisable, ce livre capable de tant de métamorphoses.»
Ouvrir un livre de Jorge Luis Borges c'est toujours la certitude de pénétrer chez un de ces érudits — on en a tous déjà croisé — dont le salon ressemble à un capharnaüm foutraque tapissé d'étagères où s'agglutinent vieux bouquins, bibelots et pléthore de trésors glanés on ne sait où et qui traînent leur histoire insolite. Il suffit alors de prendre en main un livre, n'importe lequel, pour que l'hôte puisse nous en parler pendant des heures, en citer des bouts entiers, raconter la vie de son auteur et également un peu la sienne, souvent tout aussi ionnante.
Dans ce cycle de conférences accordées à Buenos Aires entre 1977 et 1978 J.L Borges, à présent totalement aveugle, reste fidèle à ses thèmes de prédilections qui nourrissent ses fameuses nouvelles. Il nous parle avec érudition mais grande légèreté et extrême clarté de son amour pour la littérature, pour les langues et leurs saveurs au travers des grands poètes anglo-saxons, de la Commedia de Dante, du cauchemar et de son étymologie, de l'esprit de la kabbale et de la philosophie du Bouddhisme ou bien encore de l'invention du roman policier par Poe. Prouvant à chaque paragraphe que toutes ces œuvres sont, pour citer le mot d'Eco, "ouvertes", à jamais inépuisables et polymorphes.
Transcription de séminaire oblige, on est bien loin de la rigueur d'un essai : au contraire, les disgressions, les rebonds sur le coin d'une citation et les échos personnels enrichissent sa pensée comme si on la voyait se tisser en direct.
De chez ce genre d'éclairé, l'on ressort généralement rassasié, un peu plus curieux, un peu étourdi aussi, par le bagage impressionnant de ce conteur-eur mais surtout par la simplicité, l'humour, la spontanéité et la poésie avec lesquelles il nous le partage. Avec lui cela paraît si simple et si évident. Et souvent ce puits de science nous engage, nous force, à emprunter un ou deux livres. On n'en repart jamais ni la tête ni les mains vides.
Enfin pour se faire une idée de la voix et du phrasé : http://youtu.be/qT_i9tNbnjE (1965)
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Modifiée
le 11 sept. 2012