Une citation d'Hank Jones dans le livre nous résume Ella en quelques lignes: "(...) Ella pensait comme un instrument. Sa voix était son instrument et elle pouvait improviser comme un musicien". On ne saurait mieux dire tant cette artiste exceptionnelle, toujours en proie au doute, voulait d'abord être un membre de l'orchestre, se fondre et s'am avec les musiciens qui l'accompagnaient et le public aussi, évidemment. Chaque soir, les mêmes interrogations: "Le public va-t-il m'aimer? Vais-je réussir à lui faire plaisir?" alors que les salles étaient combles partout dans le monde et la foule prête à l'acclamer. L'auteur de cet ouvrage, Steven Jezo-Vannier, nous raconte parfaitement les grandes étapes de sa vie et de sa carrière. Il est l'auteur de plusieurs biographies sur le rock chez ce même éditeur, dont une sur le Grateful Dead. Ca n'est donc pas un spécialiste du jazz mais son travail est extrêmement solide et s'appuie sur une documentation sérieuse et variée (toutes les sources sont bien indiquées, la bibliographie fait 5 pages). Il réussit à montrer la complexité d'Ella, à la fois adulée sur scène et très seule dans sa vie privée, très timide et capable d'avoir des manières de diva, peut-être pour cacher cette timidité d'ailleurs. Une femme d'une gentillesse extrême et pouvant pousser des colères terribles contre ses musiciens si tout ne tournait pas rond. C'était là aussi sans doute un moyen de se protéger dans le monde hyper machiste qu'était alors le jazz...Et puis, "instrument" de l'orchestre OK, mais Ella savait très bien qu'elle était l'instrument principal, donc pas question de lui faire de l'ombre et de vouloir partager la vedette avec elle. Roy Eldridge l'a appris à ses dépens quand il l'accompagnait dans les années 60. Il nous reste une artiste de génie (et je pèse mes mots), pas seulement une chanteuse: elle a transcendé tous les genres (swing, pop en reprenant les Beatles par exemple, musiques brésiliennes...) avec une voix magique. La diction impeccable, le swing imperturbable et ce scat qu'elle a poussé à un point démentiel et qui semble très facile en l'écoutant mais qui demande une maîtrise vocale et une connaissance de la musique qu'aucune école ne pourra jamais apprendre! L'auteur nous raconte cette anecdote qui en dit long sur son sens du travail et son dévouement au public: un soir qu'elle est sur la scène d'un club tenu par la mafia, un homme s'avance et s'effondre devant cette scène, poignardé...Ella a continué son concert comme si de rien n'était!!! Si une chanson plaît au public, Ella la rechante et pas question de quitter la scène tant que les fans réclament des rappels! On y croise des personnes qui ont eu un rôle important dans sa carrière, Oscar Peterson, Norman Granz par exemple. Cette biographie a l'avantage d'être une des rares qu'on possède en français et au final, elle nous fait encore mieux aimer cette femme hors norme. Pour moi, Ella reste la plus grande et rien de mieux le matin pour se mettre en forme que de se er un des ses albums (live en particulier). Par contre, défaut habituel chez Le mot et le reste, l'iconographie, toujours sacrifiée alors que les textes sont souvent de qualité: les pochettes des albums sont reproduites en tout petit et en noir et blanc de mauvaise qualité, quel dommage. Et puis, dans la discographie "sélective", certes, aucun enregistrement avec Chick Webb, celui qui l'a lancée. Sa discographie semble commencer seulement en 1950! D'où mon étoile en moins. J'ai lu ce livre en réécoutant le coffret d'Ella en 4 CD, Twelve Nights in Hollywood, sublime. Et s'il vous reste encore du temps, jetez-vous sur Ella in Berlin, le chef d'oeuvre absolu!