Nous voici face à un des plus beaux films de Nicholas Ray, flamboyant par sa mise en scène, ses couleurs stupéfiantes (nocturnes pour le monde de la nuit, rouge et or pour le meurtre et l'amour) et ses décors somptueux et criards typiques des années 50. Le film recrée les années 30, apogée du gangstérisme américain, de façon plus stylisée que réaliste, les scènes de guerre des gangs se réduisent à des scènes brèves, Ray ne tient pas à faire oeuvre d'historiographe de la pègre, il dynamite un peu les codes du film noir, mais on sent l'ambiance survoltée de ce milieu de la pègre symbolisée par Rico Angelo, incarné de façon rageuse et toujours excessive par Lee J. Cobb, prodigieux acteur que je n'ai jamais cessé d'irer dans ses rôles de forts en gueule.
Nick Ray se ionne pour la violence de l'époque, mais surtout pour les numéros chorégraphiques étincelants de Cyd Charisse, qui est ici d'une beauté envoûtante. Ces numéros sont réalisés en alternance avec des crépitements de violence à la Scarface, un peu comme le fera Coppola plus tard dans Cotton Club où se succédaient scènes sanglantes et numéros dansés ; l'essentiel étant de montrer 2 amants marqués par la vie dans un univers de violence et de corruption. Dans un rôle d'avocat véreux et boiteux, Robert Taylor livre une composition ionnée, tandis que pour une fois dans un film noir, la femme incarnée par Cyd représente la rédemption. C'est pourquoi on pourra s'étonner de retrouver dans ce film toute la sensibilité brûlante de la Fureur de vivre, atmosphère surprenante dans ce type de polar et dans laquelle les ions et les haines perdent toute mesure. On retiendra encore dans ce riche casting, l'un des plus fabuleux bad guys d'Hollywood, avec la vilaine tête de John Ireland, ici bras droit et tueur implacable de son boss Rico Angelo. Un film magnifique.