♫ Worst I was afraid, film was petrified…♫

L’attente était simple : savoir si The Revenant peut se substituer à toute la promo qui en est faite, et qui brandit comme un trophée tout le storytelling autour de ses conditions de fabrication ; à savoir la même question que celle posée avec Birdman et ses fameux plans-séquences.
Le changement de sujet laissait pourtant présager le meilleur : en s’attaquant à la nature, en simplifiant sa ligne narrative, en faisant, apparemment, de la contemplation l’argument principal, Iñárritu allait pouvoir exploiter pleinement sa virtuosité.


Bien entendu, cette dernière est indiscutable : la photographie est magnifique, les séquences d’ouverture vibrantes, et l’osmose entre les échelles d’une pertinence totale : la distribution du chaos sur la rive lors de l’attaque indienne, la violence et la fuite sont le fruit d’un travail incroyable. La plongée dans la sauvagerie naturelle n’est pas en reste : la lumière naturelle (l’un des grands hits, depuis Andrei Roublev hantent avec insistance.


Il n’est pas innocent qu’on s’attache tant à ces premières séquences : parce qu’elles sont flamboyantes, certes, mais surtout parce qu’elles cueillent le spectateur au bon moment, avant qu’il ne commence à demander où tout cela va le conduire. Contempler la nature est une chose, y instaurer un récit une autre. En greffant sur cette beauté primale un survival ultraviolent, Iñárritu opère un mélange des genres discutable. Dans Valhalla Rising de Refn.


Ici, tout est clairement inféodé à la performance : des acteurs (oui DiCaprio est excellent, bien sûr, mais on l’a connu dans des rôles où il avait autre chose à défendre que des glaçons sur sa barbe et de la bave surgissant de ses dents déchaussées), des conditions extrêmes et une barbarie généralisée. Il suffit de voir la longueur du film pour s’en convaincre : on a bien ¾ d’heure de surplus, tout à fait injustifié par un catalogue poussif au possible de tous les sévices à subir, au point qu’on s’étonne que l’avalanche finale ne vienne pas ensevelir notre martyre.
Et pourtant, nulle empathie pour eux : leur animalité les réduit à une geste physique qui ne touche pas, ce qui rend le temps plus long encore. On a beau nous faire comprendre que la vengeance est le moteur de la survie, et recourir à des flashbacks grotesques et particulièrement mal intégrés de poésie sentimentale, rien n’y fait.


Régulièrement, on se demande l’intérêt de tels mouvements, de tels plans. La scène sur la cascade gelée, exemple entre tant d’autres : pourquoi, après l’avoir filmée, (elle est très belle, cette image, tout comme le vrombissement de l’eau, là n’est pas la question, ou peut-être si, justement), avoir suivi le parcours des personnages, revenir suivre l’eau qui s’engouffre avant le raccord ? A part prouver l’ostentatoire plan séquence qui montre qu’il peut le faire, no reason.


Le film est saturé de ce genre d’affèteries, au point qu’on finit, et c’est assez rare pour le signaler, par ne voir que la caméra. On se demande comment elle parvient à s’accrocher à un cheval au galop, on la voit plonger avec les personnages, sa vitre est embuée par leur souffle court, souillée de sang, de neige, et elle se prend même des coups dans l’affrontement final. Tout est dit : Iñárritu ne parvient pas à s’effacer au profit de son œuvre, et s’y montre en permanence, s’invitant dans la danse, dans une transgression esthétique qui écrase ses personnages et les enjeux émotionnels de son film.
C’est beau, c’est puissant, c’est éprouvant. Mais le film est comme la vengeance : plat, et il se mange froid.


(4.5/10)

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le 25 févr. 2016

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Sergent_Pepper

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