Véritable uppercut aux noir et blanc fantastiques, Shock corridor remue sans ménagement une société américaine dont les travers sont disséqués par un Samuel Fuller remonté qui ne mâche pas ses mots. En intégrant son protagoniste au coeur d'un asile, il va jusqu’à la corde ce lieu inquiétant pour brosser le portrait d'un monde empli de douleur, dans lequel les hommes deviennent fous par la force des choses. Ainsi se côtoient dans l'ombre de ses corridor malfamés moult âmes aux profils psychotiques très variés mais symptomatiques, à leur façon, du mal-être de tout un pays.
Fuller enchaîne les scènes fortes dans l’optique de bousculer les mentalités. Restent en mémoire une impressionnante attaque de zombies nymphomanes ou encore toute la trame narrative concernant Trent, un patient noir qui se prend pour le fondateur du Ku Klux Klan. A travers la folie de ce personnage, qui retrouve par moment sa lucidité pour devenir l'exact opposé du monstre qui prend possession de son esprit lorsqu’il est en crise, le cinéaste se lance dans une critique virulente des inégalités sociales qui sévissaient (et sévissent encore) aux états unis. Il va même jusqu’à aborder la problématique sensible de la ségrégation raciale de manière très frontale, radicale même. Véhiculer son cinglant propos par l’intermédiaire d’un jeune homme noir montre toute l’absurdité, et l'horreur, de cette haine qui se cristallise en idéologie.
Finalement, le ténu fil rouge qui introduit les différents personnages importe peu. Même s'il se fait également l'écho d'une thématique sociale, à savoir la quête de reconnaissance dans ce qu'elle a de plus extrême, on devine assez vite que la vraie matière de Shock Corridor réside dans sa galerie de patients complètement surréalistes mais qui semblent pourtant si palpables. Mis en lumière avec beaucoup de savoir-faire, à coups de noir et blancs violemment contrastés, les fous tapent tour à tour du poing sur la table pour s'accaparer l’attention d’un spectateur déboussolé. Mention spéciale Peter Breck qui file particulièrement le frisson. Sa métamorphose d'homme dit « sain » en patient au sens premier du terme est diablement efficace. Elle atteint son apogée émotionnelle lorsque la pluie investit les couloirs de la clinique : une métaphore visuelle très forte qu’il est impossible d’oublier.
Comme le prouve cette séquence visuellement virtuose, Fuller sait où il veut aller et s’offre tous les moyens pour mener à bien son entreprise : un script solide, un lead efficace et une sensibilité picturale à toute épreuve. Une alliance redoutable qui s’exprime tout au long de son film. Les visages sont stigmatisés par des lumières meurtrières, les délires mentaux de l'écrivain en quête de vérité son matérialisés par des inserts vidéos qui fonctionnent encore aujourd'hui et quelques apports de couleurs viennent augmenter l'impact de nombreuses séquences. C'est assez courageux de la part du cinéaste d'avoir osé ce genre de montage tant ce dangereux d'amalgame peut diviser immédiatement l'audience.
En l'état, c'est plutôt l'inverse qui se produit. Le script est suffisamment dans la retenue pour que tous ses choix osés de mise en scène s'imposent comme étant des moteurs à part entière de l’intrigue. De toute façon, Fuller ne laisse pas le choix à son public, le prenant en otage dès qu'il conduit son acteur principal parmi les fous. A partir de ce moment là, toute fuite est vaine, Shock Corridor ne ménage personne et s’immisce dans les cerveaux sans crier gare le temps d'une séance vicieuse et suffocante dont on se souvient.