Je ne connaissais pas John Malkovich, n'étant pas cinéphile moi même. C'est donc le premier film que j'ai vu avec lui comme acteur principal.
Seneca – On the Creation of Earthquakes est mine de rien un film assez intéressant.
Pour commencer le parti pris de l'anachronisme, certains seront légitimement agacés par cette liberté prise qui ne peut pas plaire à tout le monde, ainsi, appeler Néron "président" plutôt qu'empereur, lui faire jouer de la guitare électrique plutôt que de la lyre, peut rebuter certains. Mais, je comprends pourquoi ce choix a été fait, paradoxalement, par respect pour l'histoire, plutôt que de pasticher l'Empire romain en y projetant nos fantasmes contemporains, le réalisateur Robert Schwentke a décidé de jouer a fond la carte de l'anachronisme créant par la même des scènes marquantes comme la scène de cavalcade d'un légionnaire avec, en arrière plan, des poteaux électriques. Je trouve que c'est un choix pertinent pour rendre le thème de la mort de Sénèque, philosophe et dramaturge, plus actuel.
L'histoire ? Néron, sur un coup de tête, décide de faire assassiner Sénèque et va sélectionner un légionnaire pour effectuer sa basse besogne, ainsi, Sénèque va devoir choisir entre le suicide ou l'assassinat. Devant ce choix, Sénèque va organiser sa mort et, en bon philosophe imbus de lui même, va parler, parler et parler... alors moi j'aime bien les films bavards et j'ai adoré la prestation de Malkovich possédé par le personnage !
Ainsi, Seneca pose des questions universelles et intemporelles sans y apporter de réponses définitives. Quels sont le rôle et la responsabilité de l'intellectuel dans l'avènement de la tyrannie ? Que laisser à la postérité ? Comment bien vivre ses derniers instants sur terre quand l'on se sait condamné ? Quelle valeur a l'amitié et l'amour quand l'on fait partie des nantis ?
En effet, Sénèque, comme tout le monde le sait, est un célèbre dramaturge et philosophe antique, faisant parti des stoïciens impériaux (ou tardifs) avec Epicure et Marc Aurèle.
Il a été percepteur de Néron, en charge de son éducation intellectuelle mais aussi politique.
Tout le long du film la question de la responsabilité morale de Sénèque dans l'avènement du despote est posée. Sénèque, par couardise, ne va pas se lever contre l'ubuesque Néron, ayant déjà été condamné dans le é à l'exil, il craint de ne pas survivre à une seconde condamnation. La scène qui montre le mieux la lâcheté de Sénèque reste celui du matricide commis par Néron. Ecarté de la vie politique par le tyran, Sénèque coule des jours heureux à monter des pièces de théâtre violentes (Thyeste est ainsi mise en scène de manière particulièrement brutale et grotesque) condamnant sévèrement la cruauté et l'hypocrisie de sa société le tout entouré de ses riches amis, dans le confort et le luxe de sa villa bien sûr..., en déconnexion absolue avec le quotidien des classes moins opulentes ! Car Sénèque est d'une richesse insolente pour un intellectuel, il fait partie de l'intelligentsia dorée de la tyrannie même s'il ne participe pas (ou plus ) à cette dernière (et que Néron est en totale contradiction des préceptes de Sénèque). Ce qui est d'autant plus contradictoire quand l'on connait la philosophie de Sénèque et le goût des Romains pour la robustesse et la frugalité (l'opulence et la débauche étant très souvent perçues comme efféminées et "orientales") !
Sénèque va ainsi se poser la question de comment organiser son suicide (comment le mettre en scène), avec qui er ses derniers moments (ses amis et disciples qui le quitteront tous les uns près les autres par lâcheté devant le sbire), quelles seront ses dernières pensées, ses mots pour la postérité. Mais Sénèque ne veut pas mourir ! Tout le long du film il retarde son suicide, volontairement ou non, qu'on lui coupe les quatre veines et celui-ci ne saigne pas ! Sénèque doit pourtant se dépêcher, il n'a qu'une nuit pour mourir sinon il se fera massacrer (de manière atroce) par le légionnaire dépêché par Néron.
C'est que Sénèque n'est pas n'importe qui, il lui faut une mort digne d'un grand philosophe tel Socrate ! Finalement, il finira par mourir sur le sol, au milieu d'une phrase, le visage grimaçant.
Sénèque a échoué à vivre et mourir en philosophe, son lègue pour la postérité, mis à part ses livres et ses pièces de théâtre, sont la tyrannie d'un gros garçon capricieux et matricide à la tête de l'empire, ses amis et disciples l'on tous quitté... c'est une fin particulièrement amer, un triste constat de la finitude humaine, indéable.
Schwentke pose des questions ouvertes, intemporelles et universelles, il démystifie la figure de l'intellectuel qui est présenté comme quelqu'un de pleutre et de faible, et, il faut bien le dire, de prétentieux et d'attaché au confort matériel, mais aussi comme une personne aux dons intellectuels certains. Cette figure de l'intellectuel proposée dans Seneca, comme étant un personnage à la médiocrité ordinaire, est nécessaire dans une époque où l'on a érigé l'intellectuel et l'artiste comme étant des être hors normes, exceptionnels.