Le sujet est intéressant : un philosophe ( stoïcien), conseiller du prince puis tombé en disgrâce, confronté à la mort, sa propre mort. Sénèque était précepteur de Néron, et cela soulève inévitablement des des questions de philosophie politique (celle du bon gouvernant, du philosophe-roi), mais interroge plus généralement la philosophie : est-ce que ça n’est pas une simple posture, un bavardage creux ? Comment se confronter à ce qui constitue un double « tremblement de terre » (le « eathquakes » du titre) : un tyran au pouvoir d’abord, sa propre mort ensuite ?
Le film l’est moins. On suit avec un peu de sidération le traitement de ces deux questions dans le film, en se demandant où le metteur en scène veut nous emmener, qu’est-ce qu’il cherche à nous dire. Est-ce que ça mérite même d'être regardé jusqu’au bout ? C’est une vraie question.
Il y a des choix de mise en scène intéressants : la voix off, l’oscillation entre antiquité et modernité – Sénèque pérore dans des ruines antiques, Néron porte des lunettes de soleil et il joue de la guitare électrique, un légionnaire galope dans un champ de pylônes électriques, et il y a de façon générale beaucoup d’anachronismes assumés, hénaurmes. Il y a aussi des choix de mise en scène qui laissent perplexes : la mise en scène de Thyeste, le gore, le grotesque, qui tirent le film vers la farce potache. Et des choix scénaristiques contestables : Sénèque est contraint au suicide, mais il est aussi celui qui met en scène sa propre mort, de même qu’il met en scène sa tragédie, Thyeste (dans un genre très gore … ). Il faut réussir sa mort et le philosophe est acculé – penser la vie d’accord, mais le difficile est de vivre sa pensée, d’être à la hauteur. Pas de spoiler ici : bien sûr que Sénèque rate sa mort, le philosophe se révélant risible, odieux, pathétique, assez loin des leçons de sagesse qu’il délivrait dans ses textes. Le film est grinçant, pas tendre avec les philosophes ni avec ceux qui cherchent à penser la politique ou du moins qui auraient les moyens d'intervenir dans la sphère publique - mention spéciale à John Malkovich en Sénèque et à Géraldine Chaplin en patricienne camée.
Certes il y a certes de éléments de vérité historique : : Lucilius, dédicataire des Lettres à Lucilius (dont de très belles lettres sur la mort), est présent aux côtés de son maître – mais pas sûr que Robert Schwentke les ait lues ; Sénèque a effectivement écrit une tragédie – Thyeste – qui constitue un sommet de noirceur – mais pourquoi diable faire de Sénèque un metteur en scène, cela jusque dans sa propre mort ? Au reste, tout le film n’est que cela, une pièce de théâtre bavarde qui hésite entre plusieurs genres – théâtre élisabéthain, tragédie antique, comédie – et veut nous ramener vers aujourd’hui, la décharge, les civilisations qui sont mortelles, comme les hommes. Lisez Paul Veyne instead.