Sur les rayonnages chargés des films poseurs, Saltburn pourrait occuper une place de choix, et presque constituer un cas d’école : Emerald Fennel, ragaillardie par la surcote prévisible de son déjà clinquant Promising Young Woman en 2020, y aligne en effet tous les ingrédients possibles du bel objet destiné à séduire le plus grand nombre.
Soit l’intrusion d’un jeune homme dans une famille d’ultra riches britanniques, pour un été au château familial, convoquant l’archétype du Talentueux Mr Ripley, ou plus récemment de L’Origine du mal, dans un atmosphère asphyxiante censée rebattre les cartes en lorgnant du côté du Théorème pasolinien. La promo 2006 d’Oxford occasionne une incursion dans les intérieurs cossus des élites, le tout mâtiné d’un best-of d’époque bien accrocheur, de fêtes décadentes en repas guindés, le tout dans ce qui se voudrait un jeu de massacre caricatural.
Et pour ce qui est de la satire, Fennel ne fait pas dans la nuance, sa subtilité équivalant presque celle d’un Ruben Ostlund : si le jeu peut séduire dans un premier temps (notamment dans la découverte du personnage de la mère incarnée par Rosamund Pike), il s’embourbe rapidement dans la surenchère, au point d’offrir une carricature de la carricature. Réactions outrées, personnages bouffons, personnages vides de toute personnalité quand il s’agit de tomber sous le charme de celui qu’on présentait de prime abord comme un petit nerd invisible, rien ne convainc vraiment, et d’autant moins quand la réalisatrice croit pertinent d’épaissir la sauce au sperme léché dans une bonde ou aux menstrues dans un baiser goulu.
Gratuité, facticité, pose : Emerald Fennel est finalement très proche de son personnage, qui prend clairement son entourage pour des demeurés. L’un des éléments du récit était pourtant prometteur, lorsque le séducteur en mauvaise posture explique qu’il avait pourtant créé la mystification qui correspondait au fantasme de son auditeur. Mais la scénariste ne semble pas vouloir cre ces coulisses de la fiction, seule la surface importe. Un exemple concret de ces facilités d’écriture se trouve dans la scène de karaoké : le protagoniste, forcé de chanter, commence à entonner le Rent des Pet Shop Boys. Il connaît la mélodie – et donc, la chanson, mais se trouve pourtant stupéfait lorsqu’il découvre le refrain qui fait directement référence à sa posture de gigolo (I love you, you pay my rent) Seul l’effet sur le spectateur importe.
(Spoils à prévoir)
Parce qu’il faut effectivement être un demeuré pour ne pas voir arriver à des kilomètres la mythomanie du protagoniste, et le programme – d’une facilité déconcertante au demeurant – de parasitage qu’il met en place. Nous assener par de longues tirades surécrites et dans l’épilogue un retour en arrière pour un pseudo twist de ses méfaits frôle l’insulte, et révèle surtout le véritable fond du film : Emerald Fennel ire moins son protagoniste qu’elle ne savoure ce qu’elle pense être une brillante machination fictionnelle, à laquelle elle voue un amour aussi aveugle que celui de ses personnages mal brossés.