Alors que de nombreuses études historiques tendent à définir des modèles idéologiques dominants dans la fiction (capitalisme, phallocratie, racisme, impérialisme, etc.), celle-ci n’en est pas moins réactive pour tenter de saisir l’air du temps. Au-delà des simples éléments -généralement périphériques et accessoires - permettant de jouer la carte contemporaine, on peut aussi la voir prendre à bras le corps certaines revendications pour les intégrer à une nouvelle façon de raconter. Spike Lee l’a par exemple très laborieusement fait dans son oubliable Da 5 Bloods l’année dernière, arrosant de sauce Black Lives Matter son intrigue de chasse au trésor.
Promising young woman surfe ainsi sur l’ère #MeToo, en proposant une relecture du rape & revenge à vertu quasi pédagogique à destination des prédateurs de femmes sous l’emprise de l’alcool, et dont les défenses sont sérieusement affaiblies. La cause est évidemment légitime, et le regard porté sur cette société triomphante de la petite élite wasp rangée quelques années après des exactions tendrement qualifiées de délires de jeunesse est aussi décapant que glaçant.
Emerald Fennell, à l’écriture et à la réalisation, prend pourtant le parti d’un mélange des genres assez original pour conduire sa démonstration : thriller bien rodé, comédie romantique, satire sociale s’entremêlent autour du personnage joué par Carrey Mulligan, qui alterne elle-même entre la figure de la traumatisée, l’héroïne blasée et la vengeresse d’une intelligence redoutable.
C’est probablement dans cette diversité que se maintient l’intérêt et que pourront se ménager quelques surprises.
Le spectateur peut se laisser gagner par la romance en germe qui semble indiquer une renaissance avant la brutale révélation du jeune premier. De la même façon, la manière dont la situation se retourne pour l’héroïne qui semble affublée de la puissance et du look d’Harley Quinn est véritablement choquante, et l’étouffement subitement réaliste (la longueur de la scène est franchement éprouvante) brise tout le verni confortable dans lequel on avait glacé la fiction.
Mais c’est aussi ce qui fait sa limite : le sujet traité semble ici le creuset à la dénonciation la plus limpide, mais aussi à une exploitation assez facile au profit d’un thriller improbable et qui se perd dans des directions éparses. Informations différées le plus tard possible, musique poussive, manipulations improbables, démonstration au forceps… A bien des égards, les leçons imposées par la trentenaire ont la légèreté de celles de Jarod dans Le Caméléon : des petites scénettes en forme de « loi du talion pour de semblant » : pour un film qui cherche à dénoncer et nous faire regarder la vérité en face, on a plus envie de lever les yeux au ciel.