14 ans après le très efficace La Bombe, Peter Watkins reprend le principe du faux documentaire pour aborder la question de la dérive fascisante qu’il constate aux Etats-Unis. L’idée est simple : Nixon, face à la contestation grandissante des opposants à la guerre du Vietnam, instaure des camps de redressement dans lesquels on imagine un défi sportif aux allures de mythe de Sisyphe : redre, en un temps donné, un point précis au milieu du désert, sans eau ni nourriture, et en échappant aux milices à vos trousses.
Si le principe de départ semble être celui d’une dystopie peu crédible, l’esthétique du film va bien entendu tout faire pour rendre crédible le dispositif. A travers cette course insensée, tout d’abord, soi-disant suivie par une équipe de la télévision britannique, qui nous permet un recours explicatif à la voix off. La chaleur, la faim, la soif, sont ainsi traduits sans filtre, et avec une efficacité certaine, jusqu’aux conséquences sur un groupe qui ne parvient pas véritablement à rester solidaire.
Mais le plus intéressant n’est pas dans ce motif. Watkins va situer le plus dense de son film dans l’arrivée, l’audition et le jugement des nouveaux arrivés dans le camp, qui devront choisir, à l’énoncé de la sentence, s’ils acceptent leur peine de prison ou la commuent dans cette course inhumaine.
C’est là l’occasion d’un double portrait : d’abord de la jeunesse, la plus hétérogène possible, de l’intellectuel au prolétaire, en ant par les minorités raciales : éructant leur défense, ils profitent évidemment de la tribune que leur offre le réalisateur entièrement acquis à leur cause. Face à eux, un tribunal populaire proprement effrayant, fusionnant l’armée et des représentants WASP au discours le plus réactionnaire, pensant sincèrement faire œuvre d’humanisme en éradiquant cette jeunesse terroriste.
Le cœur du film est là : dans ces échanges spontanés, apparemment souvent véridiques, le plus grand nombre de personnage affirmant des idées sincèrement défendues par les personnes qui les incarnent ; le gouffre qui les sépare (le personnage de la mère de famille qui oscille entre effroi et haine est particulièrement bien saisis), les dérives des débats électriques qui ne peuvent qu’aboutir à la violence physique sont restitués avec une vigueur tout à fait convaincante.
Mais le trajet extérieur et les extrémités pour le moins énormes auxquelles il aboutit déstabilise un peu cet équilibre ; à tout prendre, on se rend compte qu’on aurait préféré se contenter d’un documentaire au sens strict, qui dirait avec pertinence les tensions d’une époque, sans nécessaire dériver vers la fable un peu forcée.
(6.5/10)