Film d’ouverture du Festival de Cannes 2025, Partir un Jour est le premier long-métrage d’Amélie Bonnin. Et en tant que pure recette française, l’œuvre fait étalage de tous ses ingrédients les plus franchouillards : une comédie romantique, portée par une gagnante de Top Chef (oui oui, vraiment) et des personnages qui fument et boivent, sous fond de drames familiaux et de cœurs brisés. Le tout accompagné d’une sauce surprenante, celle de la comédie musicale. Bref, de quoi piquer notre curiosité. Mais aussi de quoi sacrément nous inquiéter.
Je suis profondément amoureux du genre de la comédie musicale. Mais pour ce qui est des karaokés, autant vous dire que j’en fais pas tous les dimanches. Grosso modo, je mets ça au même stade de plaisir qu’un afterwork bowling avec les collègues. Ou un rendez-vous chez le dentiste. Du fun en barres.
Et pourtant, c’est bien tout la proposition de l’œuvre : reprendre des tubes iconiques de la chanson française, et les incorporer aux divers dialogues du récit. Le premier tiers du film confirme malheureusement mes craintes, avec une narration qui se prend immédiatement les pieds dans le tapis. Tout paraît assez maladroit, forcé, et il faut le dire, ringard. Comme l’impression de voir un quinquagénaire me taper sur l’épaule, montant le volume de sa radio Chérie FM, et m’expliquant à quel point c’était mieux avant. Sauf que je déteste les films s’apparentant à de bêtes playlists, touchant fatalement une corde sensible (profondément grossière), de par la nostalgie inévitable émanant de l’ensemble.
Mais arrive une scène de bascule, dans laquelle le père de notre personnage principal (incarné par le formidable François Rollin) entonne Mourir sur scène de Dalida, errant dans sa cuisine mal éclairée et sa solitude criante. Et une émotion naît.
Car si l’ensemble sonnait initialement plan-plan et faussement malin, il se révèle soudainement être tout l’inverse. Du déracinement aux amours impossibles, en ant par la nostalgie d’une vie fantasmée, le film traite toutes ses thématiques avec une sincérité assez désarçonnante. Mais surtout, il s’approprie (enfin) le principe fondamental de la comédie musicale : des chansons qui illustrent et retranscrivent ce que les personnages ne peuvent formuler autrement. À savoir les non-dits familiaux, amicaux ou amoureux.
Je ne saurais pas dire si c’est le film qui a purement raté son premier tiers, ou si c’est simplement mon cerveau qui s’est accoutumé à ce système de narration radical et atypique. Dans tous les cas, le long-métrage esquisse subitement un véritable crescendo émotionnel : chaque séquence fonctionne mieux que la précédente, et l’ensemble finit par vraiment nous emporter, musicalement et narrativement.
Que ce soit dans sa romance candide ou sa relation père-fille dysfonctionnelle, le récit est profondément touchant, mais surtout, empreint d’une authenticité rare. On croit à fond en ces personnages, chose plutôt drôle d’ailleurs pour une œuvre intrinsèquement fictive, de par ses ages chantés extravagants. Le travail des comédiens est fabuleux, et on sent que cette bande s’amuse terriblement au sein de cette grande fable musicale. Le scepticisme (pour ne pas dire rejet) des premières minutes s’estompe peu à peu, laissant place à un moment d’une drôlerie et d’une poésie jubilatoire.
Oui, le long-métrage constitue en effet un choix osé pour une ouverture de festival. Pour autant, je suis en profond désaccord avec les gens qui parlent de « téléfilm ». Quoiqu’assez sobre, le travail de réalisation est plutôt soigné, avec notamment une photo particulièrement charmante. Et certes, l’œuvre reste bourrée de défauts. Certaines scènes et interactions entre personnages manquent le coche, en plus de cet aspect ringard et boursoufflé qui repointe occasionnellement le bout de son nez. Mais quel beau moment de cinéma.
Une ouverture de festival surprenante donc, débutant par un premier tiers sérieusement embarrassant, avant de déployer tout son potentiel et son charme ravageur. La définition même d’une parenthèse douce-amère, nous scotchant aussi bien un sourire aux lèvres qu’un poids au cœur.
En tout cas, me dire que Tarantino et De Niro ont vu Bastien Bouillon rapper sur du K. Maro... Cannes 2025 démarre bien.
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