Mickey 17
6.4
Mickey 17

Film de Bong Joon-Ho (2025)

Savoir séparer le Bong rien de l’ivraie

Pour mieux appréhender Mickey 17, il me semble nécessaire de mettre en perspective son contexte de production. La bascule d’un système à l’autre se fait souvent avec détriments et profits. Ici, elle s’effectue plus précisément de pays en pays et, par là même, de financeurs en financeurs. Un changement fondamental pour aborder certaines œuvres avec lesquelles on en revient souvent au fait économique. A mon sens, c’est à cet endroit que l’on mesure et comprend l’échec du film.


Bong Joon-Ho n'en était pas à son premier film hors Corée. Snowpiercer et Okja ont été produits et calibrés pour un marché international qui comprend, en premier plan, celui des États-Unis. Inéluctablement, quand Tilda Swilton et Chris Evans sont en tête d'affiche, on a des comptes à rendre. Quand le pognon est injecté différemment, toute la démarche s'en trouve modifiée. Et puis merde, quoi, l'écho n'est pas le même, ici, c'est Hollywood !


D'où ma question : quand on s'adresse à un public étasuniens, est-on contraint de les prendre pour des cons ou est-ce par initiative personnelle qu'on le fait ? J’y reviendrai. Autre marché et force de frappe industrielle plus grande : de l'écriture du scénario à la communication en ant par le casting et la direction artistique, tout est pensé à l’aune de cette nouvelle réalité économique.


A l’instar d’Okja, Mickey 17 souffre d’être un projet hollywoodien financé en majeure partie outre atlantique.

Et pourtant, pourtant…

Sur le papier, tout était là. Un scénario adapté qui pouvait poser de bonnes questions ? On y était.

Un univers fertile qui permettrait un foisonnement visuel, une mise en scène inspirée et une richesse du jeu d’acteurs ? Tout à fait.

Un réalisateur adoubé par un succès critique et public, multi-récompensé, à la carrière déjà éclectique ? Ouaip, ça aussi.



On aurait eu tout ça, hypothétiquement. Malheureusement, il a fallu que cette fois-ci soit la fois de trop.


Il y a fort à parier que sans Parasite et son incroyable réussite sur le plan financier, d’estime et son extraordinaire écho médiatique, le nouveau Bong Joon Ho n’aurait pu exister. Soit dit en ant, Parasite, c’est un budget de moins de 12 millions de dollars quand Mickey 17, produit par Warner chiffre à presque 200 millions de dollars. Forcément, c’est pas la même limonade. Conséquence de cette production : le mépris de l'intelligence. Le public est stupide, premâchons-lui le travail. Aucune place n'est faite au doute et à l'ambivalence.


Non parce que là, on est en plein dedans. Il ne faut pas que les spectateurs soient mis de côté, ou perdus, il faut que tout soit lisible. Absolument tout. Les doutes moraux du héros sont balayés d'un tour de main et jamais on ne répondra à la question qui revient sans cesse : ça fait quoi de mourir ? C'était pourtant un terreau fertile, de questionner la réimpression et les problématiques éthiques qu'elle engendre. Rassurez-vous, sera évoquée leur existence, mais alors, leur teneur et les conflits moraux qu'elles engendrent, certainement pas, cela pourrait mettre mal à l'aise le spectateur qui, oserai-je le dire... Réfléchirait par lui même ? Houla malheureux ! Même la mort perpétuelle et ses impacts psycho-physiques sont survolés.


La coexistence de deux versions d'une même personne ne sert finalement que de prétexte scénaristique puisqu’il faut bien qu'un des deux se sacrifie pour que le second ait une happy end. La fameuse et, apparemment nécessaire, happy end.

Non, je suis de mauvaise foi, ça nous sert aussi à contempler les blagues de culs et les dialogues d'une sous-intrigue absolument captivante.


Quel gâchis.


La toute-puissance d'un milliardaire candidat à une présidence qui lui échappe, l'entreprise de ce dernier pour coloniser une autre planète en exploitant des ressources humaines souvent volontaires car fanatisés ou encore l’embryon de rébellion qui naît chez certains habitants du vaisseau, tout cela est bien simpliste.

Ce qui me chagrine n'est pas là caricature. Non, c'est un genre respectable de caricaturer.

Par contre, qu'en fait-on de cette caricature ?

Et bien, pas grand chose là encore.


Le mélange des genres, pourtant cher à Bong Joon-oh, est un dosage subtil. Là, tous les traits sont grossis et ce qui doit être drôle l'est sans aucun doute, ce qui doit attendrir est manifestement fait pour et ainsi de suite jusqu’à ce que spectateur se lasse.


Et donc les poncifs. Puisque tout doit être identifiable, les archétypes sont légions : le héros, un homme sorti de nulle part qui s’empêtre dans sa condition, le “meilleur ami” (qui ici, n’a absolument rien d’un ami), le love interest, le couple de multimilliardaire égocentré où la femme domine, les scientifiques que l’on force à faire des choses horribles mais qu’ils sont gentils dans le fond hein, bref, une belle brochette. Je ne nie pas que cette galerie puisse être présente dans le livre dont le film est l’adaptation, reste qu’en l’état, ça n’est absolument pas original.


Résultat, des situations et leurs retournements parfaitement attendus à l’image de l’utilisation des clones, des trahisons et du dénouement, liste non exhaustive.


Autre conséquence, l’écriture des dialogues qui reflète l’épaisseur des personnages comme du scénario.


On a donc le droit à des répliques stupides qui en deviennent drôles malgré elles… Rarement bon signe quant à la qualité générale du long-métrage. Des paroles qui, souvent, surviennent pour expliciter ce que les personnages avaient déjà compris et en rajouter une couche pour les spectateurs. En guise d’exemple, je citerai le déjeuner où les grands méchants affirment qu'ils ont sélectionné la femme assise juste en face d'eux pour porter leur race : "vous me prenez juste pour un utérus en fait !". Mais pitié. Doit-on préciser que la caricature n'exclut pas la subtilité ou bien est-ce peine perdue ?



Et la voix off. Aaah la voix off. La voix off et son utilisation dans Mickey 17 sont la preuve de trop qu'on a perdu Bong Joon-oh. À quoi sert elle ? À paraphraser ce que l'on voit à l'image. Un personnage vit quelque chose en flashback, la voix off appuie ce qu'il se e en expliquant les actions. Bref, à rien d'autre que nous prendre pour des cons. Et dans quel type de films observe-t-on pareil usage de la voix off ? Dans des films états-uniens génériques où tout doit être expliqué, réexpliqué voire surexpliqué afin d’éviter la moindre zone grise.




L’écriture est manichéenne au point d’en devenir ridicule et ce, même si l’idée est de mettre en place un parallèle avec le monde réel, je suis désolé mais il y a des choses qui ne ent pas. La très pertinente réflexion des “gentils” qui veulent révéler au reste de l'humanité les abus de pouvoirs des “méchants” avec comme argument principal : “ils font du mal aux extraterrestres”. C'est sûr que des personnes qui n'ont jamais remis en question le projet et tout ce qu'il a entrepris : asservissement des masses, colonialisme spatial, impression d'êtres humains tuables à souhait, vont réagir quand un alien, même pas humanoïde, se fera buter, ça tient la route comme prise de conscience.


Les deux gars un peu benêts et surendettés qui veulent fuir dans l'espace car ils n'ont plus rien à perdre, on en fait quoi ? Les créanciers vous suivront jusqu'en enfer, oui, et ? C'est un peu stérile et surtout, à vouloir parler de trop de choses on finit par ne plus rien dire.



Exemplairement, l'idée, pourtant pertinente, du control freak autour des calories, est avortée. Pourquoi ne pas avoir fait vivre ce calvaire que subissent les agers du vaisseau ? Ça aurait été dans le sens de la dénonciation d'un capitalisme totalitaire et aurait permis un parallèle avec l'état du monde contemporain. Cela aurait pu être l’occasion d’appréhender plus profondément le contrôle des naissances et la lutte contre l'avortement, la masculinité poussée à l'extrême, le désespoir des petites gens qui luttent contre le grand capital.

Cela aurait pu. Mais au lieu de ça on trace des grosses lignes au marqueur.




Et quand je dis que le scénario se perd, ce n’est pas qu’une image. Le film ne sait pas où aller et ne remplit pas ses promesses, en plus d’en oublier certains personnages. Vous vous souvenez de Kai ? Alors déjà, si oui, bravo parce que le film la met de côté sitôt qu’il n’en a plus besoin pour l’intrigue.


Au final, donc, ce qui est dérangeant n'est pas tant ce qui est que ce qui n'est pas.

Bong Joon-Ho ne va pas au bout de ses idées.


La caricature n'est pas complète, la faute à un scénario qui se perd et à un final désespérément long, lourd et cliché. Si, dans l’espace, personne ne m’entends soupirer, ce n’est malheureusement pas le cas dans un salle de cinéma. Allez, à Bong entendeur !

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Créée

le 26 mai 2025

Critique lue 3 fois

Jekutoo

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