On peut considérer l'oeuvre cinématographique de Marcel Pagnol comparable à celle de Sacha Guitry, une oeuvre presque essentiellement théâtrale dont toute la singularité tient dans le contenu et le texte. Pour Pagnol, le cinéma dans un premier temps, fut surtout un procédé technique permettant de "mettre le théâtre en conserve" tout en supprimant la question des entractes.
Premier volet de sa trilogie marseillaise (les 2 autres étant Fanny de Marc Allégret et César de Pagnol lui-même), Marius est sans doute le plus magnifique et le plus mythique, c'est celui qui bénéficie de la meilleure construction dramatique et de la meilleure mise en scène. C'est un "drame gai" (formule qui peut surprendre). Le fond de l'histoire est mélodramatique, mais les personnages sont si truculents, si hauts en couleur et si pittoresques, les répliques si drôles, et l'interprétation si brillante que l'on oublie le côté triste ou amer. On ne se lasse pas du sens des formules imagées de Pagnol : Quand on fera danser les couillons, tu seras pas à l'orchestre, Tu me fends le coeur, Il se peut que tu aimes la marine française mais la marine française te dit merde...
La chance de Pagnol fut de surgir dans le cinéma au début des années 30 avec un particularisme : celui de l'accent méridional, au moment où celui-ci pouvait agir comme une grisante nouveauté dans cet univers qui s'ouvrait au parlant. Cet accent a été en plus tellement mis en valeur par des acteurs régionaux, voire folkloriques, que le charme a pris, et on en a un bel exemple dans ce film avec Raimu, Charpin, Orane Demazis ou Paul Dullac... même le Parisien Pierre Fresnay capte bien l'accent.
Le film marque la rencontre de Pagnol avec le cinéma et avec le Hongrois Alexandre Korda, installé à Hollywood et réalisateur de nombreux films muets ; tout aurait pu les opposer, mais l'entente fut parfaite, malgré les problèmes multiples liés à l'enregistrement sonore encore peu fiable en 1931. On connait d'ailleurs le mot ironique de Raimu : "C'est un Tartare venu d'Olivoï qui va nous tirer la photographie". La présence de Korda s'explique ainsi : un Américain, Robert T. Kane, directeur de la filiale française de la Paramount, proposa à Pagnol d'adapter sa pièce à l'écran, la réalisation fut donc confiée à Korda qui pourtant ne connaissait rien au parlant, si bien qu'on peut considérer Pagnol comme premier assistant à la réalisation, car Korda filme la pièce sans trop de recherche de style, mais avec respect.
C'est ainsi que Marius fit le tour du monde, en gardant toujours la même fraîcheur et la même tendresse, et en faisant les délices de toutes les générations, grâce aux dialogues éblouissants, à son exceptionnel mélange de tragi-comédie et de chaleur humaine, et à ses figures indissociables de la personnalité des acteurs qu'on prend plaisir à voir et revoir dans des séquences inoubliables, comme les aveux de Marius à son père, la leçon des "tiers", ou la célèbre partie de cartes... Un énorme classique à voir absolument.