Les bandes-annonces trompeuses sont à double tranchant : elles peuvent générer de la déception, mais aussi provoquer un étonnement salutaire. Alors que Madre s’annonçait comme un thriller, un film d’enquête psychologique, Rodrigo Sorogoyen pourtant attendu sur ces registres au vu de sa maîtrise sur Que Dios nos perdone et El Reino, opte pour des voies de traverse.
La première séquence avait pourtant annoncé une autre couleur. Ce plan séquence terriblement éprouvant confronte une mère au plus grand cauchemar qu’elle puisse imaginer : assister à distance à la disparition de son fils sans qu’elle puisse lui apporter de l’aide. L’inable temps réel plonge le spectateur dans un effroi dirigé de main de maître, et qui donne l’opportunité à Marta Nieto de prouver la qualité de son jeu, qui ne se démentira pas dans les deux heures à venir, quel que soit la partition exigée.
Madre traite en réalité de la prison d’un deuil qui serait resté figé entre le déni et la colère. Sorogoyen va garder le parti pris esthétique – longs plans-séquence, primat du temps réel – associé à un recours au grand angle qui perd les silhouettes dans un décor trop vaste, à savoir le plus souvent cette immense plage qui s’affiche comme un cimetière infini, que cette femme n’a jamais pu délimiter. La photo et les portraits insistent sur une beauté constante : de cette femme, de la jeunesse, de la mère, aussi, une sorte de douceur qu’on retrouve dans les sfumatos au-dessus de l’écume, enveloppes acceptables des tourments qu’on essaie d’enfouir.
Toute cette atmosphère construit l’ambivalence fascinante du récit à venir. Les dissonances sont nombreuses, et les imes se multiplient dans cette odyssée de l’impossible : Elena observe de plus en plus prés des territoires avec lesquels elle ne peut revendiquer une appartenance. La jeunesse, l’insouciance, le flirt, la famille, le couple s’offrent à sa vue, l’intègrent brièvement, mais toute cette comédie est sans cesse biaisée par son statut, d’ailleurs connu de l’entourage qui la surnomme la « folle de la plage ».
Les face-à-face sont autant de malentendus, à cause des choses tues, mais aussi du jeu immature d’un jeune homme qui joue sur plusieurs tableaux, croit pouvoir fustiger la bourgeoisie de ses parents et travailler une pose d’adulte, alors qu’il répond à des désirs qu’il a lui-même du mal à formuler.
Tout l’art de Sorogoyen consiste ainsi à traquer, dans cette embarrassante fuite en avant, les signes de beauté, les éclats de lumières susceptibles de sortir une femme de sa cellule. Cette complexité est irablement rendue, et justifie la lenteur du rythme, qui, sans être contemplatif, attend le surgissement : d’un sourire, d’une vérité, d’un regard (lors de la danse de la jeune fille entre Jean et Elena), d’une haine aussi (la confrontation au père).
La dernière partie s’essouffle quelque peu : la virée en voiture filmée au téléphone n’apporte pas grand-chose, l’intrusion dans la maison force un peu le trait et la lourdeur des symboles dans l’effet de boucle sur le retour du téléphone dans l’épilogue aurait pu être évitée. Cette volonté de clore (dans l’idée de cette fameuse « closure » que l’anglais résume bien) se révèle un peu abrupte au vu des choix qui précèdent.
Mais ce n’est pas ce qui restera de ce film : de la même façon qu’il évoque une femme enfermée dans un é qui ne e pas, le spectateur gardera de lui la douceur douloureuse d’un retour à la vie, comme le lent chemin de la lumière à travers le ressac.