Libre comme le vent
6.7
Libre comme le vent

Film de Robert Parrish (1958)

Western où Cassavetes impose qui-vive émotionnel et inconfort tragique à un couple lumineux

On entend parfois d’un western que c’est une "tragédie grecque" et cette évocation peut être galvaudée. Ici, c’est une vraie tragédie, elle est poignante et vous serre le coeur presque de bout en bout. Très vite, même la beauté des paysages, des acteurs, leur jeu excellent, la qualité des dialogues, des interactions et des sentiments exprimés - tout un ensemble captivant - n’arrive pas à vous défaire d’un sentiment angoissant de fatalité, de l’idée que les péripéties suivantes ne vont pas vous plaire, d’autant que vous êtes vraiment pris par l’histoire et que vous ne pouvez pas vous mettre à distance, et plus encore, vous êtes sûr que la fin en rajoutera sur le drame. 

En fait, cela commence dès que John Cassavetes apparait.

Il joue le jeune Tony Sinclair, et, bien qu’il semble si heureux de revenir d’une vente de bétail réussie, de retrouver son grand frère adoré, joué par Robert Taylor, de ramener une belle femme dans leur ranch, jouée par Julie London, il projette d’emblée une ombre qui ne cesse de noircir à mesure que le film avance, malgré son Metrocolor et son Cinemascope magnifiques. 

Le premier combat de Tony, c’est avec un gunslinger antipathique joué par Charles Mc Graw - qui fait une composition excellente -  venu spécialement pour tuer le grand frere Steve pour un contentieux obscur qui tient à leur é commun de bandits. Tony confisque le duel pour, croit-il, protéger son frère absent, et il le gagne - dans une mêlée plus confuse qu'héroïque. Cela pourrait être rassurant, car on s’est déjà pris de sympathie pour le frere aîné, Steve, un repenti de la bande de crypto confédérés de Quantrill (un chef  sanguinaire d'irréguliers sudistes souvent cité dans les westerns, comme par exemple L'Escadron Noir) mais cela ne nous fait aucun bien. Ce qu’on pressentait se confirme : ce petit frère est un chien fou, bientôt hors de contrôle. 

Alors que le film suivant de Parrish, « The Wonderful Country» est imprégné d'une mélancolie bienveillante qui vous apaise - comme le ferait un bon massage, dysrythmique mais efficace, ce film-ci vous met en alerte constamment. On guette les retours violents de refoulés enfouis : ceux d'anciennes rivalités d’outlaws âgés ; ceux de la révolte contre les barbelés d'un détenteur de parcelle agricole qui s’est incrusté dans l'open range des éleveurs ; ceux de l'éducation fraternelle violente contre les transgressions de la loi ; ceux de l'absence de parents et de substituts maternels, etc. Vous êtes constamment sur un qui vive émotionnel et ces mouvements, intimes ou physiques, vous sont insufflés par des personnages magnifiques joués tour à tour par Charles Mc Graw, Royal Dano, Donald Crisp, Julie London, et tout du long par un beau Robert Taylor tourmenté mais digne. 

Le gunfight final, étonnant pour un western, confirme vos attentes du pire avec toutefois une touche de rédemption qui calmera les blessures morales que vous avez vécu par identification. Julie London chante à Tony « Saddle the Wind » :  Selle le vent !, une injonction impossible qui dit à peu près le contraire du titre français « Libre comme le vent », inapproprié donc, et le réalisateur Robert Parrish, ex-monteur de John Ford, qui fut aussi son jeune ami, a été capable de mettre en scène cette gageure, superbement. 

(Notule de 2020 publiée en décembre 2024)

8
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le 26 déc. 2024

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Michael-Faure

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