C'est un beau tour de force que réalise Joachim Lafosse. Et c'est sans doute son meilleur film depuis À perdre la raison qui m'avait mis au tapis, glacé le sang. Avec Les Intranquilles, le réalisateur ne raconte rien mais traverse le quotidien d'une famille pas comme les autres, où le père est atteint de bipolarité. Tout en nuances et sans céder aux facilités larmoyantes, le film part à la chasse des invisibles failles humaines, d'une insondable tension provoquée par une maladie mentale répandue, mais rarement filmée au cinéma. Comment filmer cette inquiétude si particulière ? L'instabilité ? La perte de contrôle ? Les crises ? Damien Bonnard et Leila Bekhti portent ce sujet très fort avec une exigence de jeu très complexe. On sent qu'ils se sont fabriqué un if solide et perceptible, où le feu de leur amour s'est déjà consumé en amont de ce qui est raconté. Au début, sans savoir de quoi le film relate, tout semble normal. Mais petit à petit, la souf et la douleur réveillent des cicatrices difficiles à panser, à l'idée d'une rechute imprévisible. Surviennent alors des éléments qui nous semblent anodins mais qui font l'effet d'une bourrasque. Sous les sourires se cache une crainte, sous chaque mot se cache la peur d'une déchirure, sous le drame se profile un thriller psychologique. En plus de réussir à percer cette intimité, le metteur en scène parvient à mettre en exergue la contradiction de l'artiste tourmenté qui ne peut créer qu'en état de crise. J'ai trouvé cette phase très intéressante, notamment pour la présence de l'entourage qui porte à la réflexion de l'engagement amoureux ou filial. Les Intranquilles perturbe, secoue, questionne. J'aurai peut-être aimé que ça aille plus loin. J'avoue être un peu resté sur ma faim avec le jeu de Leïla Bekhti. On l'a voit beaucoup ces derniers temps et j'aurai aimé plus de prise de risques de sa part. Là, son jeu est parfaitement maitrisé et calibré, j'ai eu l'impression qu'elle la jouait "safe", en se préservant plus qu'en se lâchant totalement... Pareil pour la scène finale que je n'attendais absolument pas ainsi. Sans doute est-ce pour traduire le cercle vicieux, sans fin... Moi, ça m'a coupé net dans mon investissement émotionnel procuré par le film. Cela dit, on a sûrement là l'interprétation masculine de l'année pour Damien Bonnard !