Je crois que dans toute mon expérience en tant que spectateur de salles de cinéma, ce film détient le record absolu de sièges quittés avant la fin de la projection, entre une emmerdeuse qui n'a pas trouvé mieux que de s'installer au milieu d'une rangée pleine pour la quitter son portable bien allumé sur luminosité maximale, l'écran tendu vers les rangées de derrière, pour bien faire chier profond son monde, une autre spectatrice démissionnaire qui fait tomber accidentellement une dame assez âgée lors de sa fuite éperdue vers la sortie, tout en se confondant en excuses audibles à mille kilomètres à la ronde (au moins, ça a eu le mérite de faire ricaner mon voisin et de le faire quitter temporairement sa somnolence !). Si vous allez voir ce film au cinéma, attendez-vous à ce type d'expérience.
L'Arbre aux papillons d'or, gagnant de la Caméra d'or 2023 à Cannes (donc premier long-métrage pour le cinéaste vietnamien, Pham Thien An !), est une succession de longs plans-séquences sur des faits plus ou moins signifiants (par exemple, la caméra peut rester dix minutes sur un coq en train de chanter, s'interrompre et répondre aux échos lointains de ses congénères... ce qui a provoqué quelques fous rires nerveux parmi les spectateurs tellement ils étaient au bout de leur vie !), ne semblant pas tous reliés par la moindre logique scénaristique entre eux, soigneusement composés des points de vue de l'esthétisme et des mouvements de caméra (je ne peux que m'incliner à me péter le dos devant cette maîtrise incontestable, y compris devant le moment donnant au film son titre français !), sur fond de paysages magnifiques de la campagne vietnamienne, le tout étendu sur une durée de trois heures. Les maîtres-mots : errance, quête de spiritualité et recherche de sens. Le grand absent volontaire : toute notion de dramaturgie.
Il y a deux catégories de spectateurs face à tout cela : celles et ceux qui vont se laisser envoûter, qui vont trouver des trésors dans chaque sacrée seconde de cette œuvre (en toute franchise, je les envie, car je me déteste d'avoir été insensible !) et les pauvres cons comme moi. Les pauvres cons trop terre-à-terre qui se demandent pourquoi le protagoniste prend son scooter pour apporter la thune au vieux alors qu'il peut aussi facilement et rapidement faire la distance à pied, qui se demandent pourquoi il amène la fille qui veut se taper, là maintenant, sur le sommet d'un sinistre immeuble désaffecté, avec un sol envahi par de la boue et des grosses flaques d'eau (je ne vois pas comment il aurait été possible de tirer son coup dans cet environnement !). Les pauvres cons qui, surtout, se disent qu'à trop étirer jusqu'à l'overdose soporifique, on annihile tout intérêt et toute émotion. Qu'à raccourcir considérablement, la portée physique et sensorielle n'en aurait pas pâti.