Il en va de la cinéphilie comme de la vie : on ne cesse en réalité jamais d’apprendre. Alors que la découverte enthousiaste de Tarkovski, Bi Gan, Weerasethakul, Béla Tarr ou Tsai Ming-liang me laissaient penser que j’étais devenu insensible à l’ennui face à la lenteur et au temps réel, voici que débarque cette caméra d’or, bien décidée à rebattre les cartes.
L’Arbre aux papillons d’or suit, sur trois heures, le parcours d’un homme enterrant sa belle-sœur morte dans un accident, et ramenant le fils de celle-ci dans la campagne avant de se mettre en quête de son frère, qui les avait abandonnés.
Les premières séquences donnent le ton, dans des plans fixes à la durée déraisonnable, sur une table de terrasse où un groupe attablé devise de la foi tandis que les sollicitations extérieures ne cessent d’interrompre le dialogue : vendeurs à la sauvette, un travail très précis sur le son ambiant comme parasitage continuel, avant un très lent panoramique se dirigeant vers le résultat d’un accident de scooter sur un carrefour. Tous les partis pris esthétiques se concentrent dans cette ouverture : un travail sur la durée préparant au surgissement, une attention accrue au périphérique, et un questionnement central sur le parcours spirituel. L’odyssée à venir va consistera en un itinéraire de délestage, l’enfoncement dans la nature laissant progressivement derrière le protagoniste les bruits parasites, et laissant au questionnement sur la foi prendre toute la place qu’il mérite.
On peut, un temps durant, déceler des influences un peu trop fortes chez Pham Thien An, ce qui accentuerait le soupçon d’une certaine pose dans la radicalité : un générique au bout de 30 minutes (comme chez Weerasethakul ou Bi Gan), une insistance sur le plan fixe posé sur un événement mineur (Tsai Ming-liang) et cette ambition, dès le premier film, de s’étendre sur trois heures, comme pour défier la patience du spectateur… Mais le propos est sincère et le dispositif esthétique réfléchi, même s’il faudra s’armer de patience face à certaines séquences, que ce soit celle d’un massage au long cours ou d’un dépannage dans un virage, où l’on aura tout le temps nécessaire pour questionner la pertinence d’une telle durée. De la même manière, l’écriture ne brille pas par une finesse hors norme, et le questionnement sur la foi embrasse sans sourciller de nombreux lieux communs, que ce soit dans celle d’un Dieu qui laisserait mourir les innocents et les enfants orphelins, ou les jeunes femmes aimantes renoncer à l’amour pour redre les ordres.
« La souf ne dure qu’un bref moment comparé à l’éternité », assénera un personnage secondaire, comme pour épauler un spectateur luttant parfois contre le sommeil, à l’image de cette séquence presque cruelle, où un plan fixe sur la nuit finissante dans les broussailles filme un coq qui chantera une dizaine de fois, comme pour maintenir son attention…
Dans ce trajet au sein d’une nature immanente reprenant progressivement ses droits, les fulgurances existent pourtant : cette avancée, presque timide, vers le cadre de la fenêtre d’une maison où un vétéran raconte sa guerre du Vietnam, ces panoramiques mystérieux où le protagoniste se trouve posé à deux endroits différents (un emprunt, là aussi, au Nostalghia de Tarkovski), l’onirique confrontation à des buffles sur un chemin de campagne et des plans à l’étendue croissante sur une canopée au bruissement profus.
Certains seront probablement bouleversés, sans réserve aucune, par cette reconquête du silence et du temps, et on les enviera presque : ils auront eu accès à ce même mystère qui anime les personnages transfigurés par la foi, et qui motive justement la quête du protagoniste. D’autres penseront que le jeune cinéaste a encore certains délestages à effectuer lui-même avant de trouver une voie plus épanouie. Je m’en remets à la fertilité stimulante du doute en refusant de trancher.
(6.5/10)