Le dernier volet de la trilogie de Park Chan-wook s’ouvre sur un générique on ne peut plus programmatique : ultra stylisé, d’un blanc glacé se teintant de rouge, il rappelle celui de Dexter l’année suivante, mêlant la nourriture et les connotations sanglantes dans une imagerie rutilante de livre de cuisine de luxe. Il annonce deux tendances majeures du film : la stylisation à outrance et le caractère glacial (ou glacé, comme les gâteaux préparés savamment) de la protagoniste.
Cet opus se veut tout d’abord un renouvellement des précédents, parce qu’il s’attache à un univers principalement féminin. Puisque la cruauté et l’intelligence au service du mal ne sont pas l’apanage du mâle, Park Chan-wook explore les ressorts tragiques de la destinée d’une femme sublime de beauté et d’un raffinement virtuose dans l’élaboration de sa vengeance. Cela dit, de nombreux éléments narratifs nous rattachent à la trilogie, et fonctionnent comme des échos : le rapt d’enfant (et le discours qui, dans un premier temps, le légitime, voire en fait un instrument de bonheur et de consolidation du couple lorsqu’il aura récupéré l’enfant), la greffe de rein, ou l’usage d’objets contondants et tranchants à des fins bouchères et vengeresses.
La mise en scène elle-même s’inscrit dans la continuité, toujours aussi travaillée dans son cadre, dans ses prises de vues (par le recours à la plongée) ou dans le jeu chromatique de ses plans. A cela s’ajoute un usage de la musique très important, qui n’est pas sans rappeler le lyrisme mélodramatique d’In the mood for love, et l’écriture d’un récit kaléidoscopique fondé sur un va et vient assez intéressant, reconstituant progressivement la construction du personnage de sainte et de sorcière élaboré par l’héroïne en prison.
Tous ces éléments devraient concourir à un film à la hauteur des précédents. Si ce n’est pas le cas, c’est, comme souvent dans la surenchère que suppose le nouveau volet d’un projet au long cours, par excès de bonne volonté. La recherche d’effets toujours plus novateurs fatigue et le kitsch assumé de certains ages est maladroit, voire contre-productif par rapport à l’atmosphère que le film cherche à instaurer. Le plan qui s’imprime sur la porte, le message dans les nuages, les prises de vues subjectives à l’envers, tout cela ne fonctionne pas. Le scénario, quant à lui, peine à se déployer, déçoit dans ses révélations et semble naviguer à vue avec l’héroïne qui adapte un plan muri pendant 13 ans au fur et à mesure des péripéties qui brisent la cohérence de l’ensemble. Alors que dans les précédents films, le regard glaçait parce qu’il ne jugeait pas, il semble ici plus hésitant, nous proposant des ajouts franchement dispensables (toutes les scènes avec les parents adoptifs australiens, voire le rapport à la fille, aussi pseudo complexe que bâclé) l’ébauche d’une réécriture de M le maudit sans rien en faire finalement… En alternant la violence outrée et les scènes contemplatives, le réalisateur brouille les pistes et nous livre un film étrangement hybride, et d’une maladresse inattendue au vu de l’étendue de sa maîtrise plastique et narrative habituelle.
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