Gabrielle et les six nains

A l'image d'une mythologie un peu vieillissante "La vie de Sherlock Holmes", énième rebond dans les aventures du détective londonien possède au premier abord cet aspect un peu poussiéreux des vieux bouquins inconnus ressortis du grenier après des années d'oubli.


Œuvre en apparence anecdotique dans la filmographie de Billy Wilder et dans la foisonnante cinématographie consacrée au locataire du 221B Baker Street (principalement initiée par des cinéastes britanniques), cet épisode de la légende Holmésienne, construit à partir d'un scénario original du cinéaste (accompagné à l'écriture de son fidèle "Watson" , I.A.L. Diamond) se mue pourtant rapidement en curiosité, au langage (et au cadre) élégant, à l'intrigue prometteuse et remarquablement amorcée dès les première scènes.


"Selon la légende, telle qu'avait l'habitude de la narrer John H.Watson", reprise ici par Billy Wilder, c'est à peu de choses près en Août 1887 que Sherlock Holmes, de retour du Yorkshire, (après avoir résolu le meurtre de l'amiral Abernettyen ("en mesurant la profondeur de l'immersion du persil dans le beurre par temps chaud"), entreprit la plus singulière de ses aventures. Une aventure, qui, parce qu'elle impliquait "des questions de nature délicate ou scandaleuse" fut relatée par le célèbre docteur dans un manuscrit enfermé dans le coffre d'une banque londonienne, et ouvert selon ses instructions 50 ans après mort du docteur.


Evidemment, les (hauts) faits d'armes du résidant du 221 Baker Stree,t véritable figure romanesque furent abondamment relayés avant 1970 et "la découverte de ce manuscrit", notamment dans les écrits d'un certain Arthur Conan Doyle, consacré Sir pour ses brillantes transcriptions des actions remarquables du détective, puis par les images dès 1900 dans des courtes pellicules puis dans une cinégraphie abondante et persistante jusqu'à la récente découverte d'Enola, jeune sœur de ce bon Sherlock.


Pourtant, si à l'occasion de l'une ou l'autre de ces adaptations, la légende a pris corps avec un à propos certain, œuvrant avec bonheur dans le polar malin (Le signe des 4 en 1987, ou dans le fantastique mystérieux (Le chien des Baskerville en 1959 ou 1989 ), "La Vie privée de Sherlock Holmes", œuvre commise par un américain bonhomme (donc supposé inculte en Sherlockerie) fait probablement figure de chef-d'œuvre Holmésien et d'hommage le plus fidèle aux traits de personnalité du détective.


Certes, l'homme est un analyste brillant, maniant le verbe et la dérision avec aisance, (les dialogues sont magnifiques tout du long), mais se perd parfois dans le tourment, s'abandonne aux paradis artificiels, dilués dans une solution à sept (ou cinq) pourcents (de cocaïne), à la misogynie : "Je n'ai rien contre les femmes je ne leur fait pas confiance c'est tout", entretient l'ambiguïté, lorsqu'il sous-entend un penchant pour Watson afin de soustraire à la proposition pressante d'une ballerine russe qui souhaite en faire le géniteur d'un enfant à concevoir. Mais, dans la syntaxe irrévérencieuse de Wilder, le détective assume ses addictions, ses aspérités, avoue son ennui devant tous ces "crimes sans imagination", s'outrage de la proposition qui lui est faite :

Un avis de recherche urgent pour retrouver des nains disparus : des liliputiens cascadeurs acrobates de cirque disparus entre Londres et Bristol, le propriétaire du cirque me propose cinq livres, cela fait moins d'une livre par nain

Tandis que Sherlock s'indigne, joue avec les mots, met son assistant dans l'embarras en alimentant la rumeur de son homosexualité (reprise en chuchotements successifs durant une scène de danse endiablée où, à ses côtés des éphèbes musculeux remplaceront des gracieuses danseuses), Wilder hurle qu'il est, en plus d'être un grand scénariste, un metteur en scène virtuose, à travers une scène de ballet digne de Michael Powell, quelques décadrages opportuns et un final écossais dynamique, aux effets spéciaux certes d'époque mais savamment dissimulés... "The Private Life of Sherlock Holmes" s'ébauche en permanence dans ses ruptures de ton, cheminant subtilement entre la comédie presque parodique, la tension du polar d'espionnage, et un propos plus romanesque voire teinté d'une certaine mélancolie, lorsqu'une certaine Mme Gabrielle Valadon trouble, dès les balbutiements de l'histoire, les deux hommes par sa présence sensuelle, entrainant les compères dans une aventure trépidante à la recherche de son mari d'abord, puis... pour finir dans une merveilleuse scène


dans laquelle, la belle déclare sa flamme en morse à l'aide... d'un parapluie


Bref, malgré les vents contraires* "La vie privée de Sherlock Holmes" est un hymne à la légèreté, à la fantaisie à l'élégance, un de ces instants de cinéma inattendu que l'on quitte à regret.



* A l'origine Wilder concevait le projet comme une comédie musicale, puis le film fut présenté dans une version de quatre heures sous forme de segments. Un des sketches, expliquait "l'aversion "d'Holmes pour les femmes par un dépit amoureux: le détective succombait aux charmes d'une jeune écossaise qui acceptait d'être l'enjeu d'une tombola). Le film fut remonté dans sa version actuelle suite à une réception désastreuse..


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le 14 avr. 2025

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Yoshii

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