La Traque
7.5
La Traque

Film de Serge Leroy (1975)

La vérité sur la chasse ou la lie de l’humanité

A sa sortie, ce grand film a été honni par le lobby des chasseurs, outrés qu’on dévoile ce qu’ils essaient de cacher sous leurs termes fleuris : « le coup du roi »= tuer un oiseau qui tombe aux pieds du chasseur, « servir » =égorger à l’arme blanche un animal blessé, « faire un édredon »= tirer sur un oiseau et faire voler ses plumes en vol…dans la traduction, il y a toujours le mot « tuer »…
Là est le but, là est le « plaisir ».
Le parallèle est on ne peut plus subtil entre les premières scènes où on voit une bande de connaissances rigolarde réunie pour une battue au sanglier et la chasse à leur victime qui risque de les mettre en difficulté, c’est-à-dire de dévoiler leur ignominie cachée - à peine - sous des apparences respectables.
Ce parallèle créé un profond malaise tout au long du film: au début, ils prennent plaisir à tuer un sanglier et leur partie de chasse est un loisir divertissant ( !). Ensuite, ils doivent tuer par nécessité - pour éviter d'être dénoncés. Là se trouve la VRAIE chasse, mais elle ne poursuit pas un animal. Piètres chasseurs au début et ne comprenant pas grand chose à leurs actes, ils deviennent conscients, utilisent leurs connaissances de la traque pour arriver à une fin d'un intérêt vital pour eux et , devant l'endurance et l'habileté de cette femme qui défend sa vie, sont pris d'iration( un des chasseurs dit " je ne pensais pas qu'une femme pouvait avoir cette endurance") et tuent presque comme à regret, en tous cas comme une nécessité peu glorieuse. Le film nous donne ainsi une vraie réflexion sur la chasse, et le malaise est puissant...
De plus, rien de la noirceur de l’humain ne nous sera épargné : le propriétaire cupide et veule qui pense tout de suite « héritage » quand il apprend qu’un de ses amis a perdu sa mère, le politique lâche qui étouffe ses maigres sursauts d’humanité devant la perspective d’une carrière mise en difficulté, les petites frappes locales qui exercent leur tyrannie sur une bourgeoisie reconnaissante des services qu’ils leur procurent en leur évitant de se salir les mains, le notaire froid et calculateur qui n’a pas l’excuse de la bestialité et qui propose une chaufferette à un homme qui se vide de son sang et dont la garde lui pèse… Les portraits sont nettement et cruellement dessinés, portés par des acteurs au meilleur de leur art.
La progression dramatique d’une intensité exceptionnelle trouve dans cette forêt hivernale un cadre oppressant et haletant jusqu’aux scènes finales qui portent à son apogée l’ignominie humaine.
D’une rare intensité et d’une rare noirceur, le film se termine en nous laissant une image terrible : celle de l’innocence et de la beauté sacrifiées – celle de la femme poursuivie bien sûr, mais aussi celle de ces magnifiques créatures qu’on côtoie si souvent et dont on ne retrouve parfois après la chasse que la peau couverte de boue ou, comme cela a été mon cas il y a deux jours, dont on découvre la tête suppliciée par la monstruosité des hommes qui n’ont même pas l’excuse de la faim.
Le film est plus grand qu’un simple brûlot anti-chasse, mais j’en profite pour informer que les dérives encore très courantes de la chasse peuvent être combattues par une association très active, en particulier dans le domaine juridique : https://www.aspas-nature.org/
Vous y trouverez en particulier des pétitions qui sont une petite mais nécessaire contribution à la cause animale de plus en plus malmenée ( Aspas lance actuellement une campagne contre le développement de la chasse d'animaux élevés spécialement pour servir de cible le week-end à ce qu'on peut difficilement appeler des "chasseurs" mais des tireurs sur cibles vivantes...)

9
Écrit par

Créée

le 23 févr. 2020

Critique lue 1.6K fois

25 j'aime

220 commentaires

jaklin

Écrit par

Critique lue 1.6K fois

25
220

D'autres avis sur La Traque

Un pour tous, tous sur une ...

(1975. FR. : La traque Vu en Blu-Ray, édition Le chat qui fume.) Un week-end dans le Bocage normand, près d’Alençon. Une jeune professeure à l’université de Caen, Helen Wells (Mimsy Farmer),...

Par

le 31 janv. 2021

36 j'aime

15

La vérité sur la chasse ou la lie de l’humanité

A sa sortie, ce grand film a été honni par le lobby des chasseurs, outrés qu’on dévoile ce qu’ils essaient de cacher sous leurs termes fleuris : « le coup du roi »= tuer un oiseau qui tombe aux...

Par

le 23 févr. 2020

25 j'aime

220

Où est ma vengeance ?

La traque est un des films les plus sinistre qui puisse être, mais il est redoutablement bien écrit et c'est sa qualité. Disons que l'on a une bande de chasseurs qui vont systématiquement prendre les...

Par

le 12 juin 2021

23 j'aime

3

Du même critique

L’ athéisme triste ou le triste athéisme

Après l’approche assez originale de Daoud, il est temps de revenir sur un devenu classique hors- norme : L’ Étranger de Camus. Tant il est me semble t’il aimé pour de mauvaises raisons : une langue...

Par

le 22 août 2018

59 j'aime

106

La puissance du Bien

« 12 hommes en colère » est l’un des films que j’ai le plus vus, avec fascination, avec émotion. C’est un huis-clos étouffant donnant pourtant à l’espace réduit une grandeur étonnante – et le...

Par

le 17 févr. 2019

56 j'aime

38

La mort programmée des êtres policés

Je n’ai jamais regardé un film danois qui ne m’ait pas plu. Celui-là avait des airs de Harry, un ami qui vous veut du bien de Dominik Moll et je n’ai pas été déçue ! Pendant la plus grande partie du...

Par

le 6 oct. 2022

55 j'aime

53