La mort programmée des êtres policés

Je n’ai jamais regardé un film danois qui ne m’ait pas plu. Celui-là avait des airs de Harry, un ami qui vous veut du bien de Dominik Moll et je n’ai pas été déçue !
Pendant la plus grande partie du film, il ne se e presque rien, mais l’ambiance est pesante, très anxiogène.
Une des grandes qualités du film est de montrer une famille danoise de la classe moyenne, avec des principes bien normés concernant l’éducation des enfants qu’on doit laisser s’épanouir, auxquels on cède à tous les caprices, même si on ne transige pas sur l’alimentation équilibrée, le dosage du sucre, par exemple. On voit aussi les vacances dans un club de Toscane, avec son atelier de cuisine, ses repas gentiment arrosés (mais pas trop, attention !), son petit concert où ces gens peu cultivés peuvent se donner quelque illusion de beauté et de sentiments forts ( intelligente utilisation du sublime Lamento della Ninfa de Monteverdi : https://www.youtube.com/watch?v=oYdnUHomQ qui donne sa couleur à l’ensemble du film et vous trottera dans la tête bien après les dernières images…) . Tout cela est bien lisse, bien sage. Le chef de famille est devenu un gentil petit barbu surtout pas trop viril, adt bienveillant de sa femme, arborant en permanence un sourire niais.
Comme souvent dans les films d’horreur ou les films à suspens, la bande son est finement travaillée. Elle est ici toujours en décalage avec les images proprettes et fait peser une sourde menace. Au plus fort de leur vie bien tranquille, les personnages sont livrés à un fatum d’autant plus lourd qu’il s’immisce dans chaque moment de leur vie bien réglée.
Ce destin s’incarnera dans un couple de néerlandais rencontré en vacances. Pour nos danois soumis à des relations creuses et superficielles, l’homme extraverti et sa femme si libre paraissent bien sympathiques. En plus, ils sont accompagnés de leur enfant certes mutique mais qui sert de compagnon de jeu à leur petite fille. Ayant repris leur petite vie bien ennuyeuse au Danemark, ils accepteront l’invitation de ces amis inattendus habitant une petite maison isolée au milieu des bois « il faut bien s’ouvrir aux autres cultures ».
Deux mondes se rencontrent et, malgré l’obligation d’ouverture d’esprit que s’imposent les danois, l’incompatibilité s’instaure peu à peu jusqu’à éclater quand il s’agit de l’attitude à adopter face aux enfants. L’éducation libérale et protectrice se heurtera à une forme de violence primitive que les danois refont longtemps de voir même si le peu d’instinct qui leur reste leur dit de fuir. Car les hollandais savent très bien à qui ils ont affaire et utilisent habillement l'argument de la liberté d'être différents : ce n'est pas parce que nos habitudes, notre mode de vie, nos croyances, sont différentes des vôtres qu'elles sont pour autant inférieures...
C’est la partie la plus intéressante du film. Cette rencontre entre le couple bien comme il faut, et ces « étrangers » au comportement souvent incompréhensible mais vaguement attirants.
Seulement, s’ouvrir à l’autre n’est pas sans danger et les danois risquent d’être victimes à la fois de leur gentillesse et de leurs valeurs face à des prédateurs sans limite.
La dernière scène est un modèle d’horreur glacée presque inable au son de la musique de Monteverdi.

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le 6 oct. 2022

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jaklin

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