Si le "connais toi toi-même" socratique envisageait le savoir de soi comme la voie vers le savoir du monde, il semble que la formule se révèle ici, ainsi que Kafka l'écrit dans son Journal, comme un "Détruis toi toi-même". Antonioni traduirait par "toute quête de sens mène à sa propre destruction" -- car le sens est l'illusion que les personnages portent : elle est l'aliénation de la vie moderne.
C'est ainsi qu'un couple bourgeois cherche, et cherchant, détruit, le sens de leur relation. Lidia (Jeanne Moreau( cherche chez son mari et trouve "l'attitude", le masque mondain. Giovanni (Marcello Mastroianni) cherche dans l'écriture, mais découvre là aussi, que le masque résiste. Ce n'est pas la perte du sentiment d'amour : l'amour n'est pas une condition nécessaire du couple bourgeois. Ce n'est pas non plus l'adultère duquel le masque ne peut souffrir.
Le couple souffre de désillusion, perte de l'illusion si nécessaire à leur existence, si nécessaire au sens de cette société. Il est en conséquence une sorte de poison pour cette société, en ceci qu'il révèle la vanité de tant de faux-semblant. Le savoir de soi menace le monde de destruction. "Vous m'avez anéanti" lance Monica Vitti, réalisant que le masque est tombé.
Et l'amour ? Sans masque ni attitude, l'amour de l'autre pour l'autre avec l'autre ? L'aliénation n'est pas une boite d'où l'on sort, Lidia cherche à sortir mais l'aliénation semble sans dehors. Le cinéma d'Antonioni est une caverne, dans une caverne, dans une caverne. Le ciel s'ouvre et se referme.
"Un oiseau s'en allait chercher une cage" comme l'écrivait Kafka.
Lidia s'en allait chercher un couple.