Je n’y arrive décidément pas avec le cinéma intellectuel, ou le cinéma d’intellectuels, comme on veut, même si ça changerait déjà pas mal la donne. Mais je ne vais pas commencer à rejeter la faute sur autrui, le problème vient certainement de moi, et j’en tire les conclusions qui s’imposent concernant mes capacités d’abstraction.
A l’exception d’une demi-douzaine de leurs films, Godard et Pasolini m’agacent assez sévèrement ; Resnais m’horripile ; Pialat m’assomme ; et je pourrais continuer mais je m’humilierais moi-même. Seul Bergman, parmi les cinéastes bien vus, me semblent réellement formidable, parce que son cinéma est bien plus vivant qu’il n’en a la réputation, parce que ses thèmes me concernent, parce qu’il a une troupe d’acteurs merveilleuse, et pour plein d’autres raisons mais ce n’est pas l’endroit.
Tarkovski et Antonioni font partie de cette liste irée par des gens que moi-même je respecte beaucoup. Et bien je ne comprends absolument rien à ce qu’ils essayent de me dire.
Ici nous suivons un couple d’intellectuels qui s’ennuient et qui n’arrivent pas à se parler directement. Précisément, Antonioni est un intellectuel qui m’ennuie et qui n’arrive pas à me parler directement. Alors il me fait regarder ses personnages qui eux-mêmes regardent une action qui est en train de se dérouler. Cette action étant souvent elle-même à peu près sans intérêt, et le regard sans émotion, mon propre regard tend à s’éteindre très rapidement.
Je partais pourtant avec l’avantage de bien aimer Jeanne Moreau, ce qui n’est pas le cas de tout le monde, ce que je peux comprendre. Sauf qu’elle n’est pas plus suffisante ici que chez Truffaut pour combler le vide qu’on lui demande d’occuper. De la même manière, Mastroianni est plus agréable à suivre que, dans l’Eclipse, le meilleur acteur de tous les temps (du moins parmi les acteurs nés à Sceaux le 8 novembre 1935, et à l’exception des autres petits Scéens nés le même jour), mais enfin on l’a déjà vu beau et nonchalant chez des cinéastes un peu plus inventifs et chaleureux, et on a préféré.
Le film part pourtant bien, avec un côté justement un peu bergmanien, Eros et Thanatos côte à côte dans le même hôpital, et puis… Et puis à peu près plus rien jusqu’à ce que Marcello dragouille Monica Vitti, qui veut bien et puis en fait non, que ça énerve Jeanne, qu’elle boude, qu’elle tente de faire pareil et puis en fait non, et que finalement… Bref, une intrigue en vérité absolument adolescente, des dialogues insuffisants malgré Guerra (qui m’a déjà fait le coup dans Nostalghia) et Flaiano, qui tentent d’insérer une vague intrigue sociale (la survie économique de l’écrivain) mais ne font que poser un cheveu sur une soupe trop tiède qu’on avait déjà commencé à vider dans l’évier.
Finalement, heureusement que je n’ai plus grand chose à faire de mes journées, sans quoi je n’aurais pas tenu les deux heures sans profiter de la nuit pour dormir du sommeil de l’idiot.
Et cela aurait été tout de même un peu dommage car, comme chez Tarkovski, dans un autre style évidemment, la forme est absolument irréprochable. La scène du night-club est excellente, les cadrages sont malins, les arrières-plans sont remarquablement soignés. Et le noir et blanc du début des années 60 embellit de toute façon approximativement tout. Quant à la scène finale, elle serait certainement jolie, si on n’y arrivait pas avec une furieuse envie que tout s’arrête au plus vite.
Et je me dis que j’aurais bien aimé que Tarkovski et Antonioni pratiquent le muet, art dans lequel je les aurais certainement trouvés épatants. Alors que quand ils me parlent, ils me perdent.