Immense chef-d'oeuvre. Antonioni fait corps de toutes les émotions les plus sourdes. L'ennui de ce couple semble vibrer sur l'écran, comme une angoisse indicible, un sentiment d'absurde. On ne sait pas si nous sommes au début ou à la fin d'un monde, si les dialogues sonnent comme une promesse ou comme un cri de désespoir. Le couple en crise avance dans la nuit - la nuit comme catalyseur, comme déclencheur, appelant à toutes les errances. L'homme se rapproche d'une autre femme, la femme se rapproche d'un autre homme. Ils cherchent à se raccrocher à l'autre, cherchant l'esquive à leur crise. Il y a des dialogues sur l'argent, la modernité - et soudain, dans cet amas de faux, de convenance, d'inquiétudes bourgeoises ; c'est l'image qui révèle, c'est la nuit qui perce leur secret, qui réveille l'humain : leur amour n'est plus, et nous ne sommes pas sûr de savoir pourquoi. Il y a cet ami qui est mort et qui aimait Lidia, il y a ce monde qui avance et qu'ils ne comprennent pas, ces immeubles qui les écrase, cet ennui qui les trouble... Le film nous invite à chercher les réponses, dans ces visages, ces sublimes déambulations.
L'épilogue est bien sûr magnifique. C'est le matin. Ces deux corps droits aux esprits fatigués et aspirés par la nuit marchent au lever du soleil, et se lancent l'inévitable : "Je ne t'aime plus, et tu ne m'aime plus". La nuit est traversée, les cernes poussent sous leurs yeux, il n'y a plus qu'un grand silence. Ils ressemblent à des morts, costumé et cadavériques, s'accordant une dernière marche dans le monde. Comme au lendemain d'une Apocalypse attendue. C'est bien à cette hauteur que Antonioni filme, avec cette gravité sèche, qui finit par bouleverser. C'est d'une sensualité froide, d'un désir ardent qui ne demande qu'à se raviver, d'une émotion étrange et évasive. Peut-être parce que le film finit par offrir à ce couple mort-vivant une porte de sortie très belle : maintenant qu'ils ont survécu à la nuit, le plus dur reste à faire : s'embrasser fougueusement au matin et se donner une chance de continuer, rester dans le monde, lutter contre son propre écrasement par la ville qui bouge.