Porté par ses nombreux auteurs contemporains (von Trier, Refn, Vinterberg), tous membres au moins un temps de la très élitiste confrérie du Dogme 95, le cinéma danois tend ces dernières années à devenir une référence en termes de qualité, même s’il peine un peu à se départir de son image de cinéma froid et quelque peu désincarné, cultivant une approche formelle travaillée, un fond réflexif très prononcé, mais encapsulé dans un art parfois inaccessible.
Annoncé comme un drame horrifique, « La jeune femme à l’aiguille », déploie dès ses premières images une esthétique travaillée et… froide, et accompagne les premiers atermoiements de son personnage d’un noir et blanc élégant, mais dont l’utilisation interroge la temporalité et le genre déclaré, alors que le film semble s’ébaucher en chronique sociale historique plutôt qu’en essai horrifique. En attendant de répondre à ces questions (essentielles) le récit ébauche un portrait de la condition ouvrière et de la misère ordinaire dans un Copenhague, où les travailleurs miséreux luttent (à l’image de Karoline couturière courageuse), pour se loger et se nourrir décemment.
Le propos se dévoile lentement d’abord, dans une parole minimaliste, à l’occasion un discours dans une usine de couture pour annoncer la fin de la guerre (14-18), ou dans un jeu de séduction silencieux entre le patron et son ouvrière, suivi d’une étreinte brutale dans une ime, à la vue de tous, qui laissera Karoline enceinte, abandonnée par l’homme, et sans emploi. La ville revêt alors une symbolique monstrueuse, parée du noir lugubre du désespoir, beaucoup plus que du blanc lumineux, engloutissant ses journaliers et dissimulant ses enfants difformes dans un cirque à la périphérie
notamment le mari de Karoline revenu défiguré de la guerre.
« La jeune femme à l’aiguille » dévoile désormais son propos dans un flux continu d’événements sordides, déclinaison d’images choquantes, œuvrant toujours, mais de manière artificielle, à la lisière des genres, convoquant symboles ou des effets de mise scène pour s’inscrire dans le fantastique ou l’horreur. La multiplicité des références, à Lynch, Renoir, Todd Browning ou Dreyer, même si elle offre des rebonds narratifs intéressants, accompagnant chacun les changements de direction du récit, ne suffisent pas, au contraire à ancrer tout à fait l’objet dans une dimension sociale, monstrueuse ou simplement onirique, mais contribuent à alimenter un trop plein misérabiliste.
Pourtant alors que Magnus von Horn poursuit dans sa volonté de provoquer le malaise, le salut de « Pigen med nålen » tient probablement dans sa dernière partie et la rencontre de Karoline avec Dagmar, présentée comme une féministe avant-gardiste qui délivre les mères « accidentelles » du poids moral de l’abandon de leurs bébés en plaçant ces derniers au sein de familles aisées dans l’impossibilité de procréer. Epousant le point de vue du fait divers historique, le récit prend alors la forme d’un témoignage, Karoline héroïne fictive, débarrassée pour un temps au moins de ses oripeaux de misère chemine alors aux côtés de Dagmar Overbye, figure historique
monstrueuse, qui assassinait les bébés prétendument en attente d’adoption.
Ces ultimes développements, même s’ils sont encore l’occasion pour le cinéaste de céder à la tentation de l’écœurement par quelques scènes voulues inables, s’engagent également sur la voie d’une réflexion humaine, celle des choix de nécessité, des petits arrangements avec la morale auxquels sont parfois contraints les plus démunis, et c’est avec un optimisme certes très mesuré que Karoline semble s’engager sur le chemin de l'apaisement.