Les célestes vibrations de La harpe de Birmanie résonnent encore en moi comme l'écho d'une élégie humaniste, peut-être l'une des plus belles de l'histoire du cinéma. De cette polyphonie sentimentaliste – mais jamais manichéenne –, où les voix du narrateur, des chœurs à l'unisson et des perroquets-messagers entrent en résonnance, accouche un puissant réquisitoire contre la guerre. Ni diatribe anti-anglaise, ni exaltation de la virtù japonaise, cette adaptation d'un célèbre roman nippon transformé en conte pour enfants n'est rien d'autre qu'une méditation nostalgique sur la capacité de la musique à unir spirituellement des hommes qui n'ont jamais voulu de cette guerre, et à transmettre par l'harmonie ce que l'ineffable a enfoui dans les sables mouvants de la pensée.
Mettant en scène avec virtuosité à la fois les vertus solidaires et fraternelles de la collectivité et la trajectoire singulière, l'aventure spirituelle d'un joueur de harpe pas comme les autres, aux appartenances identitaires multiples – japonais, bonze, birman, et finalement les trois à la fois –, Kon Ichikawa questionne les conséquences d'une tragédie universelle. C'est donc un film placé sous le signe de l'éveil, celui de peuples apprenant à panser les blessures de la conflagration par la musique, et celui d'un homme, Mizushima, qui, tant bien que mal, ouvre les yeux sur la horde de cadavres qui se dresse sur son chemin ; la découverte de l'horreur n'étant qu'un pas vers son entreprise de restauration de la dignité de ces âmes oubliées.
Kon Ichikawa ne tranche jamais éthiquement entre les chemins pouvant conduire à la reconstruction matérielle et spirituelle du Japon, et que la rédemption e par l'acceptation d'une tâche morale à accomplir envers des morts dont le sang a infiltré le sol birman, ou par l'appel d'un avenir à bâtir de nouveau, il y a, entre bouddhisme et humanisme, autant de voix/voies à faire entendre pour préserver ce fragile bien qu'est la paix.