Plus personne n’ignore les prétentions formalistes de Terrence Malick. Au fil des années, il s’est imposé comme l’un des film-maker les plus virtuoses d’Hollywood. Chez lui, le plan, ses habitudes discursives, ses mouvements, son accompagnement sonore sont hissés à des hauteurs vertigineuses. L’intransigeance affichée par son cinéma l’a même poussé sur des terres encore inexplorées, presque expérimentales, où la narration n’a plus voix au chapitre, la caméra et les sens s’y substituant avec un éclat quasi inédit.
Toutes ces qualités figuratives, aussi immenses soient-elles, trouvent leurs limites dans ce qu’on a l’habitude d’appeler, peut-être à tort, le « propos ». En occultant ses personnages, en faisant abstraction du récit, en n’exprimant pas, ou tellement peu, ses enjeux, le cinéma de Terrence Malick est devenue une machine créatrice d’images aussi sublimes que vagues, pour ne pas dire creuses. Qu’est-ce qui pourrait mieux en témoigner que ces plans courts accolés les uns aux autres sans raison apparente ? Les effets de style foisonnent autant que le sens régresse…
« Knight of Cups » donne à voir une crise existentielle en plein Hollywood, celle d’un scénariste friand de femmes comme de belles villas, incapable de donner un sens à sa vie et confronté à un double regard, celui qu’il porte sur lui-même, et celui que le spectateur est amené à caresser. En soi, cette ligne directrice est tout à fait défendable, mais dans les faits, elle heurte de plein fouet la mécanique mise en œuvre par Terrence Malick : négation de Rick, cet antihéros dépressif, négation du récit aussi, comme indiqué plus haut, négation enfin des enjeux, complètement noyés sous le « geste » cinématographique, dans lequel, il est vrai, Malick excelle.
Peut-on se contenter alors d’une démonstration purement formelle ? Voilà la question à laquelle j’ai été confronté. Je pense que non. D’autres rétorqueront certainement que le film est beaucoup plus riche qu’il ne le paraît de prime abord. Se poserait alors une autre question : pourquoi ai-je été sourd au discours de Malick ? N’est-ce pas un signe de confusion, si pas de faiblesse, de la part d’un réalisateur dont la caméra tient désormais le premier rôle ?