Knight of Cups raconte l’histoire d’un prince qui part à la recherche d’une perle. Malheureusement, sa jeune couronne vacille, son esprit se fissure et son identité disparait. C’est la dépression urbaine d’une caste starifiée, le vertige du néant comme cheval de Troie. Un thème éculé, vu et revu chez des auteurs tels que Bret Easton Ellis, Sofia Coppola (Maps to the stars). Mais nouveau dans la logorrhée créatrice, d’un auteur tel que Terrence Malick, innervée par un flux sanguin visuel labyrinthique. Avec Knight of Cups, Terrence Malick dée les frontières de l’expérimentation, casse les barrières de la radicalité, et s’essaye presque à une forme d’abstraction filmique où le schéma narratif, évident et connu chez Malick depuis un ou deux longs métrages, perd pied pour se fondre dans une dématérialisation aussi fantastique que déroutante. Les images se superposent, les séquences se fracassent les unes contre les autres où l’horizon sans limite et apaisant de la nature chevauche le vide des « palais » gargantuesques de cet espace friqué et urbain.
C’est simple, Terrence Malick semble complétement libéré de ses chaines, crée une farandole hallucinatoire de séquences vives et furtives (scènes de GoPro, petites séquences arty en noir et blanc). Fascinant, le début du métrage étincelle par ce montage parcellaire dont la démarche se rapproche de celle d’un Jean Luc Godard. Knight of Cups est un peu à Terrence Malick, ce qu’est Inland Empire à David Lynch. L’expression la plus personnelle et inconsciente d’un auteur ne cherchant plus à se soumettre à de quelconques règles. Et c’est peut-être cela qui rend le film aussi beau : cette cohérence, ce mimétisme entre Rick et Malick dans ce monde du silence, cette même quête : vouloir trouver un chemin propre, se déviant de leur incompréhension des autres. Alors que la personnalité cinématographique de Terrence Malick ne fait plus aucun doute, Knight of Cups se mue en une quête d’identité - d’une vie et d’une œuvre - presque perdue d’avance d’un scénariste d’Hollywood qui va de conquête à conquête sans trouver ce qu’il cherche.
Être étranger d’un monde que l’on ne comprend pas, vivre la vie de quelqu’un qui n’est pas nous. Donner un sens à une existence aussi temporelle que temporaire. Avec Knight of Cups, Terrence Malick filme, aperçoit, dissèque, observe, jalonne le monde contemporain, son Amérique qui se dévisse, ces longues routes parsemées de bitume, les affolantes affiches publicitaires, ces salons divertissant et factices, les corps vociférant de sensualité de déesses immaculées, ces buildings phosphorescents qui illuminent cette monstrueuse ville qu’est Los Angeles. Alors que dans le même temps, Michael Mann s’intéresse à la numérisation et l’abstraction même de ses thématiques dans Hacker, Terrence Malick dépose les armes et scrute un monde peuplé de fantômes, où l’errance fait face à la superficialité d’êtres qui déambulent et se gargarisent sans raison dans un dédalle de vacuité omniprésente. Alors que les paillettes survolent les pensées, que l’alcool coule à flot, et que le ricanement fait rage, le rideau tombe. Là où Malick n’a rien perdu de sa superbe, c’est d’inscrire sa pensée à celle de ses décors, donner vie à un monde et sa faculté insignifiante,
Les conquêtes s’évaporent les unes après les autres par l’incapacité de son protagoniste à épo leur démarche. De l’épouse à l’amante, jusqu’à la fille facile, Rick fait acte de présence mais sans attache. Comme le Brandon de Les Anges déchus ». Prise de vue aussi instinctive qu’improvisée, Knight of Cups est un voyage mental fluctuant, qui émeut autant par sa capacité à capter la non adhésion d’un homme à son décor qu’à scruter la fragilité des relations humaines.