Voilà un film bien étrange et déroutant, et son étrangeté même constitue déjà une qualité rare.
Le projet du cinéaste serait, si toutefois j'ai bien compris, de réconcilier science et spiritualité.
Le personnage principal, Ian (Michael PItt, que je n'avais pas revu depuis fort longtemps, et qui se débrouille plutôt bien) est un scientifique pur porc qui ne jure que par les démonstrations, les équations et le séquençage génétique. L'univers entier, selon lui, doit pouvoir être expliqué par des opérations mathématiques. On ne saura jamais vraiment pourquoi, mais Ian a une sainte horreur de tout ce qui est religieux, spirituel ou non démontrable par a+b.
ça va au point qu'il se croit même en croisade contre la religion. Le sujet de sa thèse a pour but officiel de détruire définitivement la théorie créationniste. Et cela lui permet aussi de redre un thème qui est une véritable ion chez lui : les yeux.
En effet, l'un des arguments de créationnistes (selon ce film : j'avoue que je ne suis pas allé cherché ça plus loin) se trouve dans les yeux. Ils prétendent que le hasard qui régirait un univers sans Dieu n'aurait jamais pu aboutir à quelque chose d'aussi perfectionné que l’œil humain. Aussi, Ian va baser ses recherches de thésard sur la possibilité de faire naître des yeux chez des animaux qui en sont dépourvus.
On comprend assez vite les contradictions qui animent Ian.
D'abord, pour quelqu'un qui se dit rationnel, la ion pour les yeux semble bien irrationnelle. D'ailleurs, Ian se fait bien dominer par ses ions.
Et puis, que quelqu'un qui rejette ouvertement Dieu se prenne pour un être suprême dans le cadre de son laboratoire paraît bien contradictoire. Car créer un organe sur des animaux qui en sont dépourvus, c'est se prendre pour Dieu. Un Dieu qui voudrait corriger sa copie. Loin de détruire la thèse créationniste, ses recherches semblent plutôt la renforcer...
Et la citadelle scientifique va être assiégée tout au long du film. Attention, il ne faut pas dire que ce film est anti-science ou pro-religieux. Le propos du cinéaste est bien de réconcilier science et spiritualité. Faire accepter l'idée que la science ne pourra jamais expliquer l'univers dans son intégralité. Qu'un monde exclusivement scientifique perdrait ses émotions, sa poésie. Que le monde est un équilibre, et que l'homme a besoin de cet équilibre.
La construction du scénario essaie tant bien que mal de respecter cet équilibre. Chaque fois que Ian fait un progrès dans ses recherches, un problème sentimental se dresse face à lui. Et on alterne ainsi pendant toute une première partie littéralement illuminée par la présence d'Astrid Bergès-Frisbey, à la fois grâcieuse, aérienne, mystérieuse.
Jamais, lors de cette première partie, je n'ai pu prévoir ce qui allait arriver. Je me suis laissé transporté par un film à la fois intelligent et sensible. Les moindres détails semblaient précieux. la réalisation façonnait un monde. Sans être magnifique, le film avait quelque chose de différent, d'énigmatique.
La seconde partie, par contre, m'a moins intéressé. Cherchant à axer le film sur le seul thème d'une quête spirituelle irrationnelle, le cinéaste tombe dans la facilité et le prévisible.
Au final, voilà un film étrange, et cette seule étrangeté justifie qu'on s'y intéresse. Un film bancal, inégal, qui n'évite pas certaines facilités. Un film qui ne m'a pas fait sauter de joie, mais qui m'a, pendant un temps, suffisamment intrigué pour me tenir en haleine.