FiveM, l'interface qui permet de faire du roleplay sur GTA est sortie en 2014. 7 ans plus tard, deux boomers nous font croire qu'ils vont réaliser pour la première fois dans GTA une pièce de théâtre, du Shakespeare, LE Hamlet. Comment ne pas rire.
À les entendre, personne n’aurait jamais eu l’idée avant eux de sortir autre chose qu’un Uzi dans les rues de Los Santos. Soudain, deux quadras découvrent que GTA n’est pas uniquement un simulateur de violence gratuite et de virées en T20 volées. Révélation mystique : on peut y faire... du théâtre ? Dans un jeu où l’on peut parler, bouger, interagir avec d’autres gens ? Quelle révolution. Ce qu’ils font, en réalité, c’est réinventer l’eau tiède. Quiconque a é ne serait-ce que quelques heures sur un serveur RP, ou regardé un stream Twitch d’un joueur un peu inspiré, sait que GTA est déjà un espace de création permanent. Théâtre ? Déjà fait. Shakespeare ? Déjà tenté. Créations originales, récits d’amour, procès, fausses élections, vrais divorces : le théâtre est natif, organique, dans cet espace. Mais eux, ils arrivent avec Hamlet. Pas pour jouer. Pour élever. Du moins, c’est ce qu’ils prétendent. Parce que dans leur monde, faire du théâtre, c’est forcément faire du Shakespeare. Et dans GTA, ça devient une sorte de mission civilisatrice. Apporter la « vraie » culture dans un monde barbare. On en rirait presque s’ils n’étaient pas aussi sérieux. Le jeu est sale, violent, désordonné, donc ils viennent y planter leur petit drapeau de légitimité culturelle, persuadés d’avoir découvert un continent vierge.
Tout dans leur film est performatif. Il ne s’agit pas tant de monter Hamlet, que de monter le fait qu’ils montent Hamlet. Ils le disent, le redisent, le répètent comme un mantra. Et derrière ce discours en boucle, il y a... Rien. La mise en scène est bancale. Une séquence où ils découvrent un théâtre comme s’il n’avait jamais existé, alors qu’il est scripté dans la campagne solo depuis 2013. Une scène où la femme de l’un des réalisateurs lui reproche de trop jouer : cliché instantané. Tout sonne faux, presque surjoué, prêt à cocher toutes les cases du film-objet culturel subversif. On n’assiste pas à un moment de vérité, mais à une fiction déguisée en documentaire.
Ce n’est donc pas un documentaire. C’est un let’s play arty. Mais sans humour, sans recul, sans documentation réelle. Aucun effort pour montrer ce que le RP permet. Aucun questionnement sur les interactions en ligne. Aucun intérêt pour ceux qui vivent GTA comme un espace narratif. Et ce n’est pas un oubli. C’est une ignorance totale. Car en réalité, ils ne jouent même pas sur FiveM. Ils sont sur GTA Online, l’espace multijoueur basique, sans mods, sans scripts, sans infrastructure RP. Donc non seulement ils ne documentent rien, mais ils ne comprennent pas ce qu’ils prétendent documenter. Ils croient faire du neuf avec du vieux, sans savoir que le neuf existe déjà (et depuis longtemps). Leur ignorance du monde du RP est telle qu’on ne peut même pas les acc de mauvaise foi. Ils ne savaient juste pas que c’était possible autrement. Alors ils ne se sont même pas posé la question.
Et pourtant, des gens le font. Mieux. Beaucoup mieux. Il y a une vraie pépite, ée presque inaperçue : Bac à sable, de Charlotte Cherici et Lucas Azémar. Diffusé sur Tënk l’an dernier. Ce film suit un serveur RP de l’intérieur. Ce n’est pas du spectacle, c’est une l’observation patiente, fine, sensible. Ce n’est pas Hamlet parachuté dans une fusillade, c’est la vie de ceux qui peuplent ce monde parallèle, et qui créent, racontent, inventent chaque jour. L’un des meilleurs films que j’ai vus l’an dernier.
Alors, avec un peu de recul, ce Grand Theft Hamlet apparaîtra pour ce qu’il est : une coquille vide, affublée d’une étiquette clinquante. Et les vrais documentaires qui explorent le monde multijoueur de GTA, eux, resteront. Parce qu’ils ne se sont pas pris pour les premiers à marcher sur la Lune. Ils ont juste regardé la vie sur une planète où, depuis longtemps, les histoires se jouent déjà.