Glauco, immense Michel Piccoli dans ce qui est peut-être son plus beau rôle, est dessinateur industriel, il dessine des masques à gaz. Comme tous les soirs il rentre chez lui. Ce soir-là sa femme est alitée, il va se préparer à manger et tombe par hasard en cherchant des ustensiles de cuisine, sur un revolver enveloppé dans un journal annonçant la mort du gangster Dillinger.
Ce qui impressionne par-dessus tout c'est la magistrale mise en scène, la gestion de la temporalité, l'unité de lieu, de Ferreri et le traitement en demi-teinte qu'il va faire de cette soirée « pas » comme les autres.
Tout d'abord le film paraît serein, calme voire léger, on suit Piccoli dans ses mouvements quotidiens remplis de gestes somme toute banals. Il évolue dans son appartement plein de détails pop sur lesquels s'attarde plus ou moins la caméra du cinéaste. Il est seul, sa charmante femme est au lit, malade, et la femme de ménage, Annie Girardot, rentre tard et file directement dans sa chambre. Pas de dialogue donc, ou très peu, juste des bruits, de la musique : ceux de la radio où s'enchainent les chansons populaires, ceux de la télévision : on y parle de cinéma, de Fausto Coppi, et ceux du quotidien.
Piccoli évolue donc au milieu de tout ça. Mais dès lors qu'il va trouve l'arme, un basculement, certes faiblement perceptible immédiatement, va peu à peu s'opérer. Il devient obnubilé par sa découverte, procédant en parallèle à la préparation de son plat et au nettoyage du revolver allant jusqu'à subtilement mélanger peu à peu les deux (il touille les éléments du flingue dans de l'huile d'olive et l'on voir un quartier de citron à coté du bol).
Ce lien ainsi créé de nourriture et de mort n'est pas sans rappeler La Grande bouffe qui viendra plus tard.
Les gestes et situations deviennent donc de plus en plus curieuses, inquiétantes, l'apparente sérénité laisse peu à peu place à un sentiment angoissant et étouffant. On en vient à se trouver mal à l'aise seul avec ce personnage et enfermé dans cet appartement. On aimerait sortir tout en souhaitant rester car extrêmement intrigué par ce qu'il fait.
Puis Piccoli allume son vidéo projecteur et regarde un film de vacances, une corrida, une plage,... Là encore sa façon de mimer ce qu'il voit, son interaction inhabituelle avec l'image vient conforter ce côté inquiétant. Jusqu'à ce age surréaliste où l'on voit un spectacle de mains acrobates sorti de nulle part.
Je n'irais pas plus loin dans l'exposition des scènes.
On a donc un mélange à la fois de sérieux et de ludique, de jeu. Piccoli apparaît comme un grand enfant : il joue à la dinette, il fait joujou avec son arme : il la démonte, la colorie,..., il fait le capricieux en refusant d'aller se coucher, il embête sa femme malade,...
Il faut bien entendu l'immense Piccoli, le travail sur le corps et les expressions faciales pour retranscrire cette ambiguïté à la perfection. Jusqu'à moment déterminant où l'on peut lire sur son visage un effroyable basculement : le age du jeu au sérieux.
Ce personnage est-il fou ? Pas sûr. Il faut alors revenir au prologue du film pour essayer de mieux comprendre où veut nous mener Ferreri. Dans se prologue on voit tout d'abord des tests pour l'utilisation de ses masques à gaz. Puis un collège de Piccoli se lance dans une lecture que l'on peut percevoir comme dérisoire sur la place de l'homme dans la société moderne, l'aliénation que cette dernière peut engendrer.
Est-ce une critique de l'homme bourgeois ? Est-ce une critique de la société de l'époque ? (on rappellera que Théorème sortira la même année) ? Est-ce un constat féroce fait sur la confrontation des deux.
Comment comprendre ses icones mythiques qui parsèment le film ? Coppi, Dillinger, Auschwitz,...
On pourrait formuler un tas d'hypothèses sur les intentions de Ferreri, sur ce qu'il nous montre.
C'est un immense film