Rêve party
La phrase prononcée par Gilles Deleuze retranscrite à l'écran "Ne soyez jamais pris dans le rêve de l’autre..." est l'antithèse du nouveau long-métrage (dé)borderline de l'inventif Bertrand Bonello...
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le 15 juin 2022
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Suite à son introspection au sein de la jeunesse du XXIe siècle entamée en 2016 avec Nocturama qui se verra suivi par Zombi Child en 2019, Bertrand Bonello achève ce qui s'avère finalement être une sorte de trilogie avec Coma, qui, lui, se déroule intégralement durant le confinement de 2020.
Une adolescente possède le pouvoir de nous faire entrer dans ses rêves. Mais aussi dans ses plus effroyables cauchemars. Enfermée dans sa chambre lors du confinement exigé par le gouvernement, son seul rapport au monde extérieur est virtuel. Elle navigue alors entre fiction et réalité, guidée par une Youtubeuse aussi inquiétante que mystérieuse, Patricia Coma…
Intégralement autoproduit, Coma conserve soigneusement une forme de double sens (voire même un peu plus) avec son titre nous guidant au cœur de la privation de liberté d'une très jeune adulte d'à peine 18 ans (l'âge que j'avais lors de ce fameux, mais néanmoins oppressant, confinement). Incarnée par l'extraordinaire Louise Labèque, déjà jeune héroïne de Zombi Child, l'adolescente sans prénom qu'elle incarne ici nous guide non seulement au cœur de sa solitude durant cette période d'enfermement forcé, mais aussi au cœur de son imagination débordant de fantasmes, de peur et de quête de soi. En ce sens, sûrement grâce à sa propre fille qui a visiblement mon âge, Bonello a capté les moindres angoisses, doutes et autres questions existentielles frontalement abordés par ma génération. Une analyse rarissime au sein du cinéma actuel, dont la plupart des longs-métrages conserve une pénibilité sans fard en matière de fond et qui se voit littéralement absente ici de par l'autofinancement du projet.
En ce sens, Bonello analyse l'univers de sa propre fille pour mieux faire jouer son imagination artistique en y incorporant un monde enfoui dans l'esprit de sa jeune héroïne. Et ce monde touchant essentiellement ma génération, considérée par bon nombre d'adultes comme étant totalement abrutie, voire même littéralement néfaste face à leur propre culture (et je peux vous assurer que je sais de quoi je parle), reste ici soigneusement et intelligemment analysé par un Bertrand Bonello au plus haut de sa forme créative. Avec la chaîne YouTube gérée par une certaine Patricia Coma (incarnée par l'excellente Julia Faure, révélée par Pascal Bonitzer en 2015), peut-être, voire même sûrement, fantasmée par la jeune héroïne confrontée à son confinement, nous assistons ici à une forme de questionnement aussi analytique que rigoriste face à la société d'aujourd'hui, prônée par l'ultralibéralisme et une édifiante sous-culture, où nos propres rêves, nos propres désirs et notre propre idéologie pénètrent et s'égarent dans ceux des autres.
Et c'est dans ce cadre qu'apparaît le célèbre Gilles Deleuze lors de sa conférence Qu'est-ce Que L'Acte De Création ?, prodiguée à la Fémis en mars 1987 et intégralement disponible via YouTube, qui a grandement inspiré le sujet de fond de Coma. Une vidéo que visionne par ailleurs l'héroïne du film entre d'autres déclarations de serial-killers qui ionnent également son entourage féminin lors d'échanges virtuels remarquablement empreints de véracité, autant dans le fond que dans la forme. Les rapports de contraste s'intensifient d'autant plus lorsque Bonello s'inspire de David Lynch en remplaçant les lapins de ce dernier par des poupées Barbie ou en décuplant la notion de la perdition au sein d'une lugubre forêt dénommée Free Zone et s'apparentant à la Black Lodge lynchienne. Les limbes propres à Inland Empire et Twin Peaks se voient ainsi inévitablement relus ici par une très jeune adulte, confrontée à ses propres peurs et à ses propres questions existentielles, issue d'une génération construite par l'actuel effondrement sociétal.
Avec la lumineuse et magnétique Louise Labèque à sa tête, Coma reste certainement l'un des plus immenses films français de ces cinq dernières années, à 100 000 lieues des œuvres populaires réalisant des millions d'entrées pour un résultat pitoyablement édifiant. Avec sa pertinente analyse du confinement mal vécu par une très large partie de la jeunesse, sa philosophie propre au rapport du réel et sa violence psychologique où des poupées Barbie doublées par des stars du cinéma français (Laetitia Casta et son compagnon Louis Garrel, mais aussi Anaïs Demoustier, Vincent Lacoste et Gaspard Ulliel pour sa dernière participation à un projet cinématographique avant son tragique et mortel accident de ski), Bertrand Bonello clôt pertinemment sa trilogie à propos des angoisses prônées par la génération Z.
Immense merci à lui ♡
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Créée
le 8 mai 2025
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La phrase prononcée par Gilles Deleuze retranscrite à l'écran "Ne soyez jamais pris dans le rêve de l’autre..." est l'antithèse du nouveau long-métrage (dé)borderline de l'inventif Bertrand Bonello...
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le 15 juin 2022
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Avec Coma, Bonello conclut sa trilogie de la jeunesse, qui après avoir suivi les élans de révolte (Nocturama) et l’ouverture sur un autre monde (Zombi Child) s’achève dans le confinement : cet opus,...
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