Chime
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Chime

Moyen-métrage de Kiyoshi Kurosawa (2024)

Cauchemar en cuisine

Kiyoshi Kurosawa est de retour avec Chime, moyen-métrage profondément déroutant distillant une angoisse sourde, qui laissera longtemps sa trace indélébile. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que nous ne tarirons pas d’éloges de sitôt à son propos tant Chime est la juste continuité des plus grands chefs-d’œuvre d’épouvante du maître japonais, en l’occurrence Cure (1999), Kaïro (2001) et Tokyo Sonata (2009), quoique ce dernier s’apparente plutôt au drame. Étonnamment peu connus du grand public, ils rivalisent pourtant avec des films d’horreur cultes tels que Shining (Stanley Kubrick, 1980) et Le Silence des agneaux (Jonathan Demme, 1991). Seul un génie comme Kurosawa est capable, en à peine 45 minutes, de créer à l'écran une atmosphère de terreur absolue mettant nos nerfs à rude épreuve. De la performance glaçante de Mutsuo Yoshioka à une mise en scène maîtrisée, marquée par une symétrie troublante, en ant par un travail d'orfèvre sur le son et la lumière, hypnotique et glacé, Chime ne vous offrira peut-être pas de grandes leçons culinaires… mais bien de cinéma.


Matsuoka enseigne dans une école de cuisine en attendant de décrocher un poste dans un restaurant de gastronomie française, sa spécialité. Lors d’un cours ordinaire, un étudiant affirme percevoir un bruit obsédant – le fameux carillon (en anglais) du titre – qui semble le transformer de l’intérieur et lui faire perdre le contrôle… Matsuoka balaye cette allégation d’un revers de la main : les conséquences seront dévastatrices. Ce tintement se révèle d’autant plus inquiétant qu’il se propage d’un individu à l’autre sans signe avant-coureur, rendant chaque instant du film imprévisible et tendu. Ce sentiment s’intensifie encore dans le décor épuré des cuisines, choix simple mais efficace, où la caméra s’attarde longuement sur les ustensiles les plus banals (couteaux, poêles à frire…) soudain empreints d’un potentiel menaçant. Dans cet espace ordinaire transformé en lieu de terreur par des changements décisifs de jeu, de mise au point, d’éclairage et de ton, chaque déplacement prend des airs de menace. À cela s’ajoute une conception sonore amplifiée, nous plaçant dans un état permanent d’alerte. Après le drame fatidique initial, le travail et la vie de famille de Matsuoka s’avèreront déréglés, enchevêtrés dans un monde fragmenté, à la perception altérée, prédisposé aux pires rencontres. Son comportement se montre toujours plus froid, calculateur, aléatoire. Preuve que la contagion du carillon est à l’œuvre…


À travers ce cauchemar en cuisine, Kurosawa interroge en réalité l’épuisement mental engendré par la société moderne. Le mystère autour du carillon ne sera jamais élucidé, mais les interrogations demeurent : est-ce un phénomène surnaturel ou le révélateur d’une noirceur latente en chacun, exacerbée par les frustrations ? Matsuoka, insatisfait par sa carrière, évolue dans un foyer dysfonctionnel (un fils irritant, une épouse maniaque). Et si cette dissonance du quotidien constituait le terreau d’un basculement vers la violence, à la manière de Jack Torrance dans Shining ou de Jean-Claude Romand, si brillamment saisie par Emmanuel Carrère dans son roman L’Adversaire ? L’absurdité et la folie comme moyen d’échapper au réel… Un malaise insondable, comme seul Kurosawa sait le saisir, se cache résolument à la surface de nos existences ordinaires.


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il y a 3 jours

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