Dixième long-métrage du cinéaste japonais Akira Kurosawa, Chien enragé, hommage du metteur en scène à l'écrivain George Simenon, est considéré par beaucoup comme une date importante dans le cinéma japonais, car premier véritable film noir tourné au pays du soleil levant.
A partir d'une trame toute simple mais riche de multiples possibilités (un flic perd son flingue et va tenter de retrouver le voleur), Akira Kurosawa parvient non seulement à livrer un polar prenant et intense, à l'ambiance délicieusement crépusculaire, mais surtout, à esquisser une radiographie ionnante du Japon de l'après-guerre. Nous trimballant au coeur des ruelles les plus crades, au sein même de la pauvreté et de la petite criminalité, le cinéaste met à jour les plaies encore béante d'une nation meurtrie tout en s'attardant, sans haine aucune, sur ses mutations liées avant tout à une américanisation galopante.
De tous les plans, le futur acteur fétiche du cinéaste, Toshiro Mifune, est impeccable de bout en bout, que ce soit en jeune flic inexpérimenté ou en paranoïaque aux abois. Face à lui on retiendra surtout le flegme teinté d'amertume de son partenaire Takashi Shimura, autre immense comédien que l'on retrouvera dans d'autres longs-métrages du maître. Kurosawa en profite également pour teinter son film d'une pertinente dualité, rapprochant son héros du criminel qu'il poursuit, laissant entendre qu'ils représentent à deux les différentes facettes d'une même pièce, chacune ayant simplement emprunté un chemin différent.
Bien que trop long par rapport à son intrigue, Chien enragé est une nouvelle réussite à mettre sur le compte de cet immense réalisateur que fut Akira Kurosawa. Un polar moite et tendu, d'une étonnante modernité et à la toile de fond fascinante. Comme quoi, il est possible de faire beaucoup avec si peu.