Ceux qui travaillent opte pour le contexte banal mais non moins féroce du milieu professionnel, et on pense à Stépane Brizé et à ses personnages mutiques et aux destinées désespérées, de La loi du marché et En guerre où la violence des échanges reste la seule réponse face à la vindicte du monde du travail. L'aspect militant en moins.
On pense aussi au film Ressources Humaines, avec cette phrase assassine de Franck à son fils : de quel côté es-tu de ceux qui travaillent ou les autres ? Le film de Laurent Cantet pointe cette grande fierté d'être du bon côté alors que le père salarié en bout de course, tout comme Franck, subiront les conséquences de la politique du profit et du déni de l'individu.
Antoine Russbach quant à lui et dont c'est le premier film, a le mérite de heurter notre zone de confort par un portrait qui n'a rien d'héroïque, et où l'empathie semble définitivement hors jeu. La mise en scène classique, aux couleurs ternes et à l'ambiance glaciale joue d'une caméra au point, se fait sinueuse et sans sursaut, comme son personnage. La réalité dée la fiction. Le milieu professionnel vient en miroir de celui familial, autre fosse aux lions où la lutte sournoise et au danger de proximité laissent planer un profond malaise. Perdu depuis longtemps dans son rythme de travail Franck s'est oublié et exclu lui-même de sa propre famille et après sa démission, toute raison de vivre disparaît. Il déambule et cache sa situation, fait bonne figure et regarde ailleurs vers un hypothétique avenir plus réjouissant mais continue à satisfaire l'addiction familiale de consommation.
Tout comme ses collègues, prompts à se rassurer d'un départ qui permettra à l'entreprise d'économiser, effaçant le salarié comme simple ligne comptable, tous ses personnages ne seront qu'ombres et scories dans la lutte solitaire d'un homme face à une société qui en a perdu son humanité et à un quotidien où le faste côtoie le vide.
L'attente assure le suspense et e par les enjeux au compte-goutte, par un scénario qui décline le parcours dramatique de ce cadre déchu, et le cinéaste opte pour une grande sobriété et un flou ambiant pour suggérer une tension ordinaire. Une réussite pour ces arrêts sur image parfaitement saisis lors de ses phases d'immobilisme qui marquent puissamment l'incapacité à rebondir, les non-dits et les regards où le temps s'étire en silence et où la communication n'aura jamais vraiment existé.
Ces moments forts vont pourtant s'étioler par les chemins de traverses à suggérer les différents points de fuite potentielles de Franck. Rappelant à une enfance traumatisante, ou en pointant sur la relation privilégiée avec la plus jeune de ses filles pour le prochain échec à venir, le film semble alors n'être qu'une suite de situations sans intérêt si ce n'est de marquer la faiblesse et le manque de combativité face à l'emprise subie. Mais le jeu subtil tout en expressions d'Olivier Gourmet va nous réconforter et nous plonger définitivement dans son ime qui frappe par sa justesse tout autant qu'elle effraie par ce qu'elle implique de réflexions dérangeantes.
L'enjeu moral ne tiendra pas face aux conséquences d'un changement radical. Avec une résolution parfaite et l'excellente scène d'embauche qui résumera à elle seule toute la vacuité de l'entreprise, Franck redra tranquillement ce monde absent et déphasé.
'Antoine Russbach a su pointer le pire des conséquences par effet rebond, de notre univers...impitoyable. Un cinéaste à suivre.