Bien qu' aimant beaucoup le bonhomme, j' avoue avoir quelques réserves sur les films que Lynch a fait ces dernières années, mais par contre "Blue Velvet" (1986) est un objet hors du commun .
"Laura" ou "Vertigo" renouvelaient le film noir par l' histoire d'un éblouissement amoureux et d'un hypnotisme, " La nuit du chasseur" revisitait l'usurpation religieuse et la psychopathie dans un climat à la Mark Twain, Blue Velvet enrichit le film noir par une absurdité, une violence et une crudité surréaliste, où tout est incongru, même les scènes sentimentales, surchargées d'émotion et de candeur, jusqu'à la mièvrerie diront certains.
En peinture, puisque c'est là qu'a commencé notre homme, il y aurait là un mélange de Basquiat, pour la violence, Hopper, pour l'atmosphère tamisée, et du Douanier Rousseau, pour les sentiments.
Lynch mélange les lettres de l'alphabet du film noir autant qu'il peut, avec cette oreille qui inaugure l'intrigue, ce tuyau d'arrosage enroulé qui semble provoquer l'accident cardiaque du père, les jets de violence verbale ou physique, le sado masochisme explicite...Même si certains thèmes ne sont pas nouveaux, la présence du mal et de la corruption au sein de la police par exemple, c'est surtout le regard de Lynch sur ce monde qui est original, car Lynch a non seulement un regard nouveau sur ce qui a déja été vu par le film noir, mais il a aussi un regard nouveau sur ce qui est inconnu de son héros. C'est un film rédigé comme un rébus,c'est un peu du Thelonious Monk, il y a une curieuse syntaxe, et ce n'est pas tant ce qu'on nous raconte qui fait la différence, c'est la façon dont on nous le raconte. Etre réalisateur, c'est avoir un monde, et donc un regard, c' est même avoir "l'oeil Martien", comme le dit un personnage dans un film de Resnais .
J 'ire Lynch d'avoir gardé assez d'enfance en lui pour retranscrire la découverte d'un monde trouble, malsain et brutal, mais infiniment intense et réel, monde incarné par le superbad Frank Booth ( le nom de l 'assassin de Lincoln) , qui surgit dans le couloir à la tète de sa meute pour coincer Jeffrey, ou bien cette puissante idée de l' inhalateur et la fixation de Booth sur l' entrejambe d' Isabella Rossellini...
Je l'ire d'avoir trouvé la ressource de suivre des ages secrets, des pistes, des sorties de secours pour trouver, au sein de l' étroitesse d'une petite ville de banlieue étouffée par l'ennui, un autre monde, des excroissances qui permettent au cinéma,et donc à la vie, de sortir de sa routine, de s' échapper de l'ordinaire, et d'amplifier ce qui est contenu et caché dans l'ordinaire. Cet ordinaire menace tout de son ennui, et Lynch ne se laisse pas avoir par l'ennui.
Chez Lynch, les méchants sont si denses qu'il en deviennent irréels, et leur vérité est telle qu'on ne peut qu 'être éclaboussé sur leur age. " Quand j' étais jeune, les gens qui m'intéressaient n'allaient pas en classe "...
Je me souviens que dans la salle, des spectateurs commençaient à rire lors de certaines scènes, puis s'arrêtaient aussitôt, ne sachant sur quel pied danser devant ce film imprévisible et incomparable, qui savait s'arrêter juste avant de franchir la ligne du ridicule.
Après toutes ces années, je mets 10 /10 à Blue Velvet, pour tous ses purs moments de forme jaillissante, ces expérimentations, ce montage, cette atmosphère de dissimulation, de crudité et de menace nocturne, cette poésie absurde dans la violence, et puis aussi parce que je veux être fidèle à mon enthousiasme premier de l'Escurial, en 87, et qu'il y a quelque chose de bien petit à dévaluer un film en fonction d'une vision répétée, ou amoindrie par les années ; ce n'est alors pas le film qui s'use, c'est le regard.
Blue Velvet n'est pas pour tout le monde, et c'est tant mieux.
J'aime finalement que ce film soit é sous silence à l'époque, et qu'il continue de l'être, alors qu'un semi-culte entoure maintenant l'homme et ses films ultérieurs.
Pour ma part, c'est dans ce film que l'univers de Lynch est le plus spontané; après, il y aura plus une fabrication d'étrange. Sur ce coup, Lynch m'a gagné à sa cause, et encore aujourd'hui, même s'il filme des guêpes chez lui,
je m'arrange pour jeter un oeil.
Il y a des petits détails qui m 'ont toujours plu dans ce film, comme un homme qui joue au yoyo sur le trottoir, au début du film, ou un autre, obèse, qui promène un chien minuscule.
Et puis, pour les mélomanes, il y a ce tube magnétique de 1956, " Honky Tonk" de Bill Dodggett...
A la suite de ce film, je suivi de près toutes les activités de Lynch pendant plusieurs années, y compris " Ronnie Rocket ", a film about electricity"...
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