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Un banc de brouillard matinal sur la campagne. Un silence obstiné, presque hostile. Et au milieu de cette ouate étouffée, un homme cherche son nom — ou peut-être son père. Bergers, c’est ça : un film où les silences en disent plus que les cris, où les absents parlent à travers les gestes, et où l’héritage se tisse comme un fil de laine entre les doigts tremblants d’un orphelin volontaire.
Sophie Deraspe ne fait pas du cinéma pour endormir les foules ni pour flatter les festivals — elle interroge. Elle découpe le réel au scalpel, filme les visages comme des paysages en friche, et t’embarque dans une quête qui sent la terre, l’enfance, le non-dit et les champs de moutons pleins de secrets. À chaque plan, elle laisse respirer l’image, comme si le cadre pouvait avaler le hors-champ, comme si le non-filtré pouvait devenir politique.
Félix-Antoine Duval, dans le rôle de Mathyas, fait un truc rare : il joue pas, il vit. On sent les silences lourds comme des bottes mouillées. Il porte son personnage comme un manteau trop grand, et pourtant ça lui va. Solène Rigot, en Élise, est une sorte d’humaniste incrédule, une pragmatique qui accepte de croire, une voyageuse des plis istratifs qui décide soudain de suivre une intuition. Ensemble, ils forment un duo bancal, pudique, presque gêné, comme deux voisins de train qui finissent par parler de leur enfance sans se regarder.
Alors oui, le film prend son temps. Certains ont dit “c’est lent” comme on dit “c’est chiant”, mais franchement… est-ce qu’on court pour traverser une forêt ? Non. On marche. Et parfois, on s’arrête. Bergers, c’est exactement ça : une errance maîtrisée, une lente avancée vers ce qu’on n’a pas osé demander tout haut. On n’est pas là pour résoudre un mystère, on est là pour écouter ce que les gens ne disent pas.
Par moments, j’ai pensé à L’Enfant des Dardenne, à Incendies de Villeneuve, à une chanson de Bashung murmurée par une voix de berger. Mais aussi à mon grand-père, qui ne parlait jamais de son père, et à cette lettre jamais envoyée trouvée dans une boîte en fer. Oui, ce film m’a fait penser à ça. Est-ce un chef-d'œuvre ? Je sais pas.
Alors fonce. Ou marche lentement. Mais vas-y.