Anora
7.2
Anora

Film de Sean Baker (2024)

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Ovni contemporain

En général je m’éloigne instinctivement des films dont on entend trop parler, qui font baver festivals, journalistes et nombrilistes de salon qui en font pratiquement l’éloge avant même sa sortie. Je partais donc avec pas mal de méfiance.

Et puis boum. Bonne surprise. Et mêmes bonnes surprises.

La première partie, un peu agitée, qui semble faire l’apologie d’une société décérébrée, corrompue et superficielle m’a laissé mitigé, mais avec suffisamment de curiosité pour poursuivre. Aucun vide, aucun ennui, une mise en scène et un divertissement qui font mouche. Enfin un film où on voit la prostitution comme un travail, et non comme une perdition, une immoralité, une victimisation ou un acte de barbarie mafieuse, ça fait plaisir, il n’y en a pas beaucoup. On y voit ceux, en l’occurrence celles, qui font bien leur boulot, les habiles, les fatiguées, les complices et les jalouses, et surtout où on voit hommes, femmes, clients et prostituées comme ils sont et non au travers de nos habituelles caricatures sexistes modernes.

La seconde partie disjoncte à point et bascule dans le surréalisme jubilatoire à la Terry Gilliam, qui mêle navrance, excès, manège d’incompréhensions de tous les personnages prisonniers de leur rôles, violences, incompatibilités et obsessions personnelles, cascade de catastrophes crispantes et dramatiques qui vont jusqu’au rire cynique et absurde, à la fois jusqu’auboutistes et fatalistes résignés. Un petit bonheur de tourbillon de folie burlesque.

La dernière partie, toujours dans un bain d’invraisemblance, et donc de poésie, bien sombre, nous balance pourtant son étonnante réalité au travers de portraits tristement contemporains :

Le prince charmant n’est qu’un petit c. sans conviction ni caractère, décérébré par l’argent, la vidéo, la drogue et l’assistanat. Le méchant parrain est bien trop noyé dans les ricanements cyniques et confus de son empêtrement personnel. Le seul personnage réellement malveillant, son épouse, est une femme, et la seule qui maitrise plus ou moins les autres et les circonstances. Ce monde est tellement décadent que le classique vigile brutal, inculte et obéissant s’avère être la personne la plus empathique de ce cirque. Et l’héroïne, qui n’est qu’une prostituée, hystérique, combative, vénale et calculatrice, se révèle finalement l’incarnation de ce qu’on peut imaginer de plus beau et de plus humain puisque c’est par elle que survivent le rêve et l’amour.

Vraiment un film surprenant. Même sans être ma tasse de thé, il ne peut pas laisser indifférent. Et il fait partie de ces spectacles qui me resteront sans doute longtemps en tête.

7
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le 4 mars 2025

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etiosoko

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