En 1968, Morris claque la porte du journal Spirou pour cause d'incompatibilité et déboule chez Goscinny au journal Pilote avec son célèbre héros et son Far West pour rire. Cet épisode qui est le premier à paraître en pré-publication dans le journal, met en valeur les Dalton qui une fois de plus volent la vedette à Luke, un récit avec eux étant toujours une garantie de succès.
La première image qui ouvre l'album est d'un esprit très cartoonesque, dans le style de Tex Avery, où plusieurs actions ont lieu en même temps ; c'est toujours un régal de détailler ce genre de grande case où l'oeil est à l'affût du moindre détail savoureux. S'ensuit une présentation amusante de Fenton Town, la ville des desperados de l'Ouest, jusqu'à l'arrivée inattendue de Lucky Luke au poste de sheriff.
On retrouve des éléments familiers de la série : un patron ventru, des desperados, des bagarres de saloon, des girls, un croque-mort prospère... L'ensemble de l'album est très drôle, dans la veine des épisodes plus tournés vers le comique que vers l'aventure historique, c'est plein de petits détails graphiques et de répliques drôles à la Goscinny.
Les retrouvailles avec Ran-Tan-Plan sont excellentes, avec un gag typique de sa stupidité, page 10, lorsqu'il essaie de sauter dans les bras de Luke (c'est d'ailleurs un running gag dans tout l'album). Le gag des girls et leur artillerie, page 8, est lui aussi typique des cartoons de Tex Avery. A propos de girls, on découvre Lulu Carabine et sa troupe ; ces personnages de danseuses de saloon aux déshabillés élégants furent toujours l'objet de la censure lorsque Morris était publié dans Spirou, car dessiner des filles ainsi était très mal vu par la maison Dupuis, ce qui montre bien qu'en changeant d'éditeur, la série a pu évoluer, on verra par la suite l'apparition de plusieurs autres personnages féminins.
Lucky Luke est devenue au fil du temps une série qui n'était plus seulement lue par des enfants, comme à ses débuts, elle a évolué en fonction de son lectorat qui a rassemblé à partir de la fin des années 60, un pourcentage important d'adultes, attiré par un second niveau de lecture, d'autant plus que les moeurs évoluaient dans la bande dessinée, et l'éditeur Dargaud affichait une ligne éditoriale plus adulte que celle de Dupuis, même si la série restait surtout destinée à la jeunesse. Cet album est donc très amusant, même s'il ne fait pas partie de mes albums préférés et des meilleurs épisodes avec les Dalton en co-vedette.