La fête est finie. Il est encore tôt, le matin ne s’est pas encore levé, le soleil n’a pas montré ses premières lueurs. Il est temps de rentrer, faire un brin de route en repensant à ses éclats de rire, à ses étreintes frénétiques qui seront peut-être les dernières d’une nuit ou d’une vie. Les cadavres de bouteilles qui jonchaient le sol sont le fruit d’une nuit d’ivresse inoubliable. C’était alors l’époque de Souvlaki, impétueux et juvénile, excentrique et novateur, où la brume shoegaze faisait vibrer son romantisme adolescent. D’une douce indépendance qui nous faisait faire tout et n’importe quoi. Carpe Diem, voyant la mort de loin. Mais la routine, le quotidien reprend son droit. L’excitation retombe, la solitude reprend le dessus mais les effets restent encore imprégnés dans l’esprit titubant. Il est l’heure, assis sur le siège, clé au , main agrippée au volant, c’est le moment de partir à la recherche de nos peines enfouies, de traumatismes éperdues, ces fêlures qui scarifient la mémoire (« Cello »).
A peine les premiers kilomètres s’enquillent sous le feu de néons miroitants leur inquiétude, que « Rutti » et ses 10 minutes surgissent dans le clair-obscur le plus total. Lent et lancinant moment de bravoure, où la progression presque inexistante hypnotise l’écoute. Un chant distinct, quelques accords, une atmosphère d’une nuit d’hiver sous la neige. Un squelette presque dépouillé de toute sa chair. Le groupe a changé, on e de la lumière à l’ombre, les effets des psychotropes se révèlent désaveuglant, où la transe psychédélique des quelques percussions presque tribales se fait révélatrice (« J’s Heaven » et « Trellisaze »). Les textures sonores sont franches et moins étouffées dans un brouillard cosmique mais demeurent toujours aussi célestes. Même quelques effluves jazzy en ressortent. Ce fichu age à l’adulte qui ne peut s’empêcher de er à l’action.
Les yeux perdus dans un ciel étoilé, un doux sourire aux lèvres, profitant d’une douce cigarette, il est difficile de ne pas repenser à toutes les étapes d’une vie, quelques souvenirs qui s’égarent, un corps nu emporté dans nos bras, un regret d’une personne, une envie de sauter le pas vers le néant. Mais dans la pénombre d’un climat glacial, Slowdive fait écho de son é et fait offrande d’une réminiscence de son ère shoegaze avec « Crazy for You » et « Blue Skied and’ Clear ». Comme si le groupe avait compris qu’il ne pourrait plus jamais revenir en arrière, un dernier soupir avant que le rideau tombe. Slowdive continue alors à se renfermer dans son épure la plus totale où les quelques arpèges se distordent avec des accords aux sonorités proche de l’acoustique et des réverbes de voix (féminine et masculine) venant des limbes (« All of us » et « Miranda »).
Slowdive, touche, avec Pygmalion, l’ambiant dans son extrémisme le plus foudroyant, d’une homogénéité de production saisissante, où la répétitivité planante constitue presque un état second. Une musicalité, dénuée de spiritualité, un geste radical, mais d’une profondeur qui accouche les esprits. Alors que Souvlaki était la parfaite bande son de teen movie spleenesque (Gregg Araki), Pygmalion surprend son monde et pourrait accompagner les méandres de road movie cathartique, comme pour commencer un bilan intérieur un cheminement vers un inconscient funèbre. Un album, un suicide commercial, une musicalité silencieuse, où le groupe et le spectateur, main dans la main, se met en quête de réponse. Mais de ces questions, va découler un chant du cygne, une révolution post rock avant l’heure, une réappropriation spectrale foisonnante . Un adieu, un voyage vers nous même, un cadeau incompris à l’époque. Une musique linéaire, un trajet sans virage mais non sans obstacles.