En 1971, Stevie est à un tournant de sa carrière. Il n’est déjà plus le « Little Stevie Wonder », gamin surdoué de la Motown qui revendiquait l’héritage de Uncle Ray. Non, il veut prendre en mains sa carrière et construire une œuvre dont il serait l’architecte de A à Z. Marvin Gaye, autre artiste maison, a ouvert cette année-là la voie en s’affranchissant de la tutelle de la maison de disques avec son sublime « What’s going on ». C’est ce que veut faire Stevie mais à sa sauce personnelle bien sûr. Cette année charnière, il va donc enregistrer deux albums successifs, le premier sortant en mars 1972 et le 2e en octobre. Le 1er est ce « Music of my mind », un titre en forme de profession de foi mais le problème est que le 2e n’est ni plus ni moins que « Talking Book » son premier vrai chef d’œuvre, inaugurant une série d’albums stratosphériques qui allaient marquer l’histoire de la musique (quel qu’en soit le style) à tout jamais : il a ouvert la soul sans la couper de ses racines, la faisant découvrir au public rock par exemple mais aussi pop, jazz, psychédéliques voire aux fans de musiques latines. C’est sur «Talking Book » qu’on retrouve par exemple « Superstition » co-écrite avec Jeff Beck. Alors, voilà, il est impossible de ne pas faire de comparaisons entre les deux albums successifs. Et la comparaison tourne inévitablement en faveur…du 2e.
Stevie Wonder joue ici pratiquement tous les instruments et co-écrit les textes avec son épouse. Un album que je trouve inégal, avec de vrais coups de mou à certains moments, mais uniquement quand on sait ce qui va suivre, attention ; il n’en est pas moins maîtrisé par un architecte génial qui n’hésite pas à utiliser les dernières technologies pour mettre en valeur sa musique : tout un tas de claviers électroniques, talk box...Bien sûr, on peut retenir certains bons morceaux comme « Love Having You Around » ou « Superwonan » mais la 2e face du disque accuse pour moi un vrai manque d’originalité et d’énergie avec à la suite les ballades mollassonnes « Happier Than The Morning Sun », « Girl Blue » et « Seems So Long », célébrant l’amour, la joie. Là, j’ai commencé à trouver le temps un peu long même s’il n’y a rien de honteux. Il faut donc prendre cet album pour ce qu’il est, un album de transition, sans doute nécessaire pour un artiste aussi créatif que Stevie, une porte à franchir avant d’aller vers le 7e ciel et de nous offrir ses chefs d’œuvre des seventies. Attention, BEAUCOUP de musiciens se contenteraient de cette "transition" mais là, on parle d'un des musiciens les plus marquants des 50 dernières années. Une curiosité pas désagréable mais pas un incontournable pour les néophytes.