Vous allez lire ici et là que le nouvel album de The War on Drugs est un disque de rock « à la papa » ("dad rock"). Certains l'écriront de manière péjorative, d'autres comme un compliment. Dans tous les cas, la notion demeure relative. Logiquement, d'une génération à l'autre, le rock écouté par les pères change d'allure. Ce que mon géniteur écoutait de plus proche du rock, c'était probablement du Glenn Miller. La musique populaire étant morte à ses oreilles avec l’avènement des Beatles, le reste n'était plus que du bruit. Certes, ce n'est pas le rock selon mon père qui est évoqué par Lost in the Dream. C'est celui des parents américains des années 70, c'est Bruce Springsteen, Tom Petty, Neil Young, un peu de Bob Dylan dans certaines intonations. Mais c'est aussi des tonnes de groupes, plus ou moins oubliés, qui peuplent les compilations qu'on achetait dans les bacs des aires d'autoroute.
The War on Drugs c'est donc aussi du rock de bagnoles. Forcément. A s'inspirer en priorité des premières œuvres de Springsteen, on ne peut que faire rugir les carburateurs et avaler du macadam au fil de compositions fleuves qui n'ont jamais peur de largement franchir la barre des cinq minutes. On est dans une sorte de remake qui s'intitulerait Born to Run in the USA on the Edge of the River. An Ocean in Between the Waves, par exemple, c'est la meilleure chanson de Springsteen depuis pas mal d'années. Pas que le Boss ne sache plus créer quelques singles mémorables de temps à autres, mais The War on Drugs apporte une fraîcheur, une simplicité, une énergie et pour pour tout dire une innocence qui ressuscitent un genre ankylosé.
L'album est long, tout juste une heure, mais il coule de source dès la première écoute. D'une part grâce à ses aspects familiers, mais aussi grâce à son équilibre qu'on n'osera pas qualifier de miraculeux pour ne pas tomber dans les clichés habituels. Ici, un solo de guitare qui n'en fait jamais trop, là une rythmique qui bat comme un cœur exalté, ailleurs une pause en forme de promenade dans la campagne endormie. Puis des échos des années 80, inévitables en ce moment, qui viennent en remontrer à Ariel Pink et à Bon Iver.
Surtout, Lost in the Dream ne cesse d'appeler à son écoute, dans le sens où on y revient, encore et encore ; une apostrophe sans ostentation superflue, sans démonstration tonitruante, doucement, tranquillement. Car il s'agit d'une musique agréable, pleine de souvenirs, toujours en mouvement même dans ses moments calmes. On peut s'y abreuver à presque toutes les heures de la journée, le matin comme la nuit. Certains y entendront une forme de tapisserie sonore, sans aspérité, trop plaisante pour être louable. J'y retrouve une universalité, un dialogue entre plusieurs époques, plusieurs générations. Ce n'est pas un album qui aurait pu sortir en 1980, non, c'est une œuvre d'aujourd'hui, de maintenant. The War on Drugs a su s'inspirer d'hier avec une grande intelligence et une sensibilité immense. On sait déjà qu'on n'est pas près de se lasser d'Eyes to the Wind ou de In Reverse. Ce rock à la papa est déjà la bande son d'une nouvelle dynastie de géniteurs potentiels. Dans 30 ans, leurs rejetons écouteront et joueront encore cette musique avec des étoiles plein les yeux et de grands espaces plein la tête.