The Jinx
7.9
The Jinx

Série HBO (2015)

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Garder mes larmes jusqu'au générique de fin

Début 2012, j'étais en fac d'art et un cours me fascinait. Un cours en amphithéâtre présenté par un directeur d'expos de musées sur à peu-près tout ce qui se faisait en art contemporain. Parfois très arty, souvent intrigants, les projets allaient aussi bien du Piss Christ d'Andres Serrano à un mashup sur le suicide dans le cinéma sur fond de Cat Power. Un projet m'a toujours hanté, celui d'un vidéaste qui rend visite à un prisonnier et malmène ses souvenirs en lui diffusant de fausses images qui laissent croire que le non coupable en serait en fait un.


Enfin je crois.


En vrai, je suis encore un p'tit con d'étudiant qui ne prend pas trop de notes, je n'archive pas tout sur internet et je me dis que la mémoire fera le reste. Sauf que quelques années plus tard, impossible de me souvenir le nom du projet, du prisonnier, de l'artiste ou même de si la culpabilité est au départ vraie ou fictive. Mais alors, un souvenir d'un évènement est-il plus faux que l'évènement lui-même ?


The Jinx est un projet au départ somme toute banale. Une murder crime story comme il en existe depuis beaucoup trop. Bien évidemment en 2015 le genre débute à peine son ascension vers les sommets et tout comme How to make a murderer, The Jinx façonnera les codes des séries, téléfilms et podcast à venir. Non pas que rien n'existait avant mais ici la formule est parfaite : vidéos de reconstitutions ultra léchées, intervenant•es haut•es en couleur et twists à répétition. Et les twists, The Jinx n'en est pas avare, au rythme des développements de l'enquête, des témoins et des preuves, les 6 épisodes font tout pour nous maintenir en haleine. Mais qu'on ne se mente pas, The Jinx n'avait rien de la série qui méritait une renommée internationale. C'est propre sans être ultra ionnant et ça se laisse regarder. Une enquête comme on en a déjà vu, avec ses twists.


Mais il y a twists et Twist (non pas le film de Coppola) et celui de The Jinx ne se présente plus. Robert Durst suspecté de 3 meurtres s'en va dans les toilettes après un ultime interview, l'écran e au noir, nous sommes dans l'ultime minute du show et oubliant son micro allumé, le vieil homme e aux aveux. Scénaristiquement c'est fou. Oui il y a eu et il y aura des twists bien plus impressionnants mais dans un documentaire qui a su gardé cette information top secrète jusqu'à sa diffusion le 15 mars 2015, c'est tout bonnement fou. Et il n'est pas question (pour l'instant) de savoir si c'est bien, mal, beau, moche. Beaucoup de séries ont marqué l'histoire et parfois les critères sont très subjectifs mais ici l’évènement ne tient qu'en une scène, la toute dernière. Et en vérité c'est un peu plus compliqué que cela.


Déjà parce qu'il y a un fusil de Tchekhov, à l'épisode 3, dans un autre interview, avec encore un micro oublié, et ce qui sonne déjà comme presque des aveux, prononcés dans un moment d'oubli. Oui nous ne somme pas dans un documentaire mais dans une série, avec ses codes et ses outils. La science du montage est là, tout nous est montré (ou non) dans un ordre souhaité pour que l'on se décroche la mâchoire à la fin.

Ensuite il y a la diffusion même de la scène qui surprendra autant les familles des victimes (on y reviendra) que la justice. Stupeur et tremblement, tout le monde découvre une pièce à conviction des plus évidentes à travers son petit écran, par un simple réalisateur.

Enfin, simple réalisateur..


Andrew Jarecki n'a pas la plus grande des carrières jusqu'alors. Et pourtant il a bien réuni pour l'unique fois de leur carrière, Kristen Dunst et Ryan Gosling dans Love & Secrets un film qui parle de.. Robert Durst. Les frontières se troublent un peu plus. Après avoir livré un film qui tire ses propres conclusions, romancées, le réalisateur entame une longue enquête qu'il finit par donner à la télévision. Simple obsession ? Le cas Durst lui prendra en fait bien plus de temps puisque l'histoire s'achèvera vraiment en 2024. Mais en attendant il y a ce choc, ce choc d'une des fins de documentaires les plus improbables de l'histoire. Pas un piège puisqu'il y avait déjà un précédent (et qu'un technicien l'informe à propos du micro ouvert), pas une théorie fumeuse puisque le document est bien là. Des aveux, dans les toilettes, alors même que tout l'épisode nous laissait croire que cet interview n'aurait pas lieu. Que finalement arrêté pour tout autre chose, ce brave Robert se fait conseillé par ses avocats d'accepter une dernière entrevue.

L'homme le plus malchanceux du monde.


On a déjà beaucoup théorisé et débattu sur la moralité de cette scène et surtout le fait de remplacer la justice, de la priver d'une preuve accablante le temps de faire de l'audience. On a beaucoup tergiverser sur le fait même de mettre en scène des enquêtes, aussi bien faîtes soit-elle. On aurait du attendra la seconde saison.


Débuté le 21 avril 2014 soit 9 ans plus tard, The Jinx Part 2 fait, comment en sont temps How to make a murderer, une introspection dans une suite méta qui laisse songeur. En effet dès le premier épisode nous somme confronté à des images d'archives de la diffusion de l'épisode en présence de l'équipe du show et des familles de victimes, avocats et enquêteur.

Le 16 mai 2013, le 200ème épisode de The Office (qui est en fait un double épisode) conclut après 9 ans de bons et loyaux service une des sitcom les plus appréciées du grand public. Cette saison finale prend enfin un marteau pour abattre le quatrième mur et parler concrètement de "Mais pourquoi qu'on est filmés et qu'on parle à une caméra depuis le début ?". Ce qui jusqu'alors donnait lieu à quelques interactions souvent humoristiques devient un élément de scénario. L'équipe de tournage ne se contente plus de filmer mais interfère dans le quotidien de la société Dunder Mifflin. Ultime pied de nez : les acteurices de The Office (le documentaire) se regardent à l'écran et redécouvre leurs vies avec tout ce qu'elles comportent de rires, de pleurs et de pranks de Jim.

Pam, Creed ou encore Stanley qui se regardent, c'est évidemment nous, qui pleurons une dernière fois la fin du show. Un écran dans un écran, des boîtes dans des boîtes.


Dans The Jinx, tout est vrai, promis. Après tout, ce n'est pas de la télé, c'est HBO.

Les familles endeuillées découvrent alors, en 2014, le twist qui a choqué l’Amérique. Les caméras sont là, The Jinx se film et se regarde le nombril. Un écran infini où l'on voit tantôt les gens rire, tantôt crier de surprise. Les discussions vont ensuite bon train, est-ce que Durst a fait exprès d'avouer ? Chacun•e y va de son hypothèse, comme pour le final season de Game of Thrones. C'est HBO, mais c'est aussi un peu de la tv.

Et quand Jarecki regarde dans le miroir noir, le miroir noir le regarde aussi.

Autre scène incroyable, dans un tribunal, où LE twist est utilisé comme pièce à conviction et diffusé au public, au juge et aux jurés. Ce n'est plus de la télévision, ce n'est plus HBO, ce sont des faits.


L'Amérique a fait tout un tas de conneries et est parti pour en faire toujours plus mais si elle sait faire une chose mieux que se personne c'est se regarder. En particulier dans ses arts, les États-Unis se percent à jours depuis des siècles, le savent, et le romancent à nouveau. La réalité devient fiction, la fiction devient hyper fiction.

Et il ne faut pas se méprendre sur l'intention, personne ne deviendra bon samaritain en apprenant que son pays est génocidaire, traversé de paradoxes ou encore malade. La fiction, aussi meta soit-elle ne reste que fiction. On est bien libre d'agir après avoir appuyé sur le bouton power de sa commande, on peut bien devenir végétarien après avoir vu Okja ou simplement annoncé son dégoût sur les réseaux sociaux après être sorti d'une séance de The Substance mais au final nous ne somme que partie de cette fiction.

On joue le rôle que l'on regarde, nous sommes les voyeurs qui se cachent les yeux pour un peu moins voir la violence ou le sexe, mais nous avons payé pour. Et les États-Unis plus que quiconque ont leurs fascinations malsaines, en particulier pour ses serial killers.


Car The Jinx Part 2 élargit son regard sur l'affaire, on y voir comment Robert Durst est moqué, parodié, mis en tête des unes mais aussi comment cet octogénaire, malade, attise la pitié. Comme le meilleur des soap opéra, la mini série suit la vie d'un homme de sa tendre jeunesse (déjà pleine de mensonges et vide de frisbees) à une vieillesse ingrate ou s'immisce même les masque du covid 19. Au gré des avancées négatives de l'affaire, le millionnaire devient l'ombre de lui-même et les jurés le prennent en affection, autant qu'ils rigolent à ses blagues. La démence n'est jamais très loin du barreau et le vieillard enchaîne les déclarations incriminantes. C'est comme si The Jinx faisait imploser son TWIST pour en accumuler en fait tellement en si peu de temps que le gros de l'affaire n'est plus là.

Et on le sait, la série ne pourra pas s'achever comme elle l'avait fait précédemment. Le cliffhanger de toute une vie, qui laissa ensuite l'enquête se rouvrir ne peut pas revenir. La magie est partie, et Durst aussi. Vous êtes spoilés ? Mais ce n'est pas de la télévision, c'est la vie.


Andrew Jarecki ne nous fera pas l'affront de finir sur la mort du criminel quand bien même la conclusion aurait été bonne car il ne maîtrise tout simplement plus son récit. La saison 1 est un travail d'archiviste, d’archéologue qui garde précieusement sa découverte pour un grand reveal où il récupérera tout les lauriers. Il y a déjà des enquêteurs officiels mais on prend plus de plaisir à suivre les "showrunners" apprendre telle information, découvrir une nouvelle témoin ou faire la lumière sur une lettre pas assez analysée. Les six premiers épisodes nous effarent par leur capacité à déer la justice dans son travail. On n'arrive même plus à se poser la question du bien fondé de cette justice personnelle et de la rétention de preuve tant il semble improbable que rien n'ai été fait par un tribunal avant. Qui est donc ce monsieur Jarecki pour réussir à tirer les vers du nez d'un riche meurtrier ? Les éternelles questions reviennent alors : pourquoi défendre un assassin ? Les riches sont-ils lavés de tout soupçons ? La justice d'un pays capitaliste, patriarcale et j'en e peut-elle être efficiente ?

La saison 2 remet l'église au milieu du village et même si à de nombreuses occasions il nous est rappelé à quel point The Jinx a permis à l'affaire d'avancer, c'est désormais tout une galerie d'avocats, de témoins et d'enquêteurs qui prend le devant de la scène.


Le 15 septembre 2017 Netflix qui a l'époque n'avait pas encore totalement sombré dans les murder stories, proposait la très rafraichissante série American Vandal. En deux saisons (pas plus car le N rouge n'aime pas faire durer le plaisir), l'œuvre parodiait avec malice et génie les codes du genre. Mieux, elle arrivait à nous ionner sur des mystères aussi bêtes que des zizis dessinés sur des voitures et une intoxication alimentaire généralisée. Ce que Tony Yacenda et Dan Perrault nous montrait en fait avec leur tour de force, c'est que l'aéroport n'importe plus, seul compte le voyage. Comme pour toute fiction, une enquête se doit d'avoir des retournements de situations (en dissimulant volontaire des faits), d'alterner les possibles, de nous faire rire, peur, pleurer et de présenter des faits et des personnages variés.

The Jinx Part 2, c'est aussi bien des frères jumeaux avocats qu'un chanteur de country porno. C'est des chapeaux de cow-boys et des grands méchants de fin de saison. C'est Dallas mais dans une autre ville !

Et d'ailleurs, puisque Durst meurt avant le dénouement final, la série se conclut sur un tout autre mystère, la seconde femme du coupable et ses intérêts à avoir protéger son mari envers et contre tous. Nous ne sommes plus en quête de vengeance (et l'avons nous été face à un vieil homme qui de toute façon perd sa tête ?) mais de justice. La vérité doit éclater. Ce n'était pas tant la peine de prison que le fait de reconnaître un crime qui importe et la pourriture peut bien périr, les noms ne doivent pas être entachés. Mais ce que la série ne rappelle que trop peu, sauf dans son dénouement c'est bien le caractère financier de l'affaire.


Car Durst a de l'argent, beaucoup. Il s'achète aussi bien sa tranquillité que ses amies ou sa femme. Il voyage librement au gré de ses fuites et laisse à Debrah Lee Charatan un confortable pécule avec lequel elle fera grimper le prix de l'immobilier, accompagné de son vrai amour. Tout se mélange, cette fin déçoit car elle ne choque pas, mais s'ancre un peu plus dans le réel, un réel où si l'on peut effectivement parfois obtenir justice, le système entier, capitaliste, ne laisse que les os. La famille de la première épouse, Kathleen McCormack ne recevra pas le moindre dollar, les anciens amis comme Nick Chavin qui ont eu le courage de témoigner n'ont désormais que leur culpabilité comme compagnons de plage et le clan Durst lui est toujours aussi puissant. La vérité même si elle éclate n'a aucune importance, il y a prescription quand tout le monde est déjà mort. Qui donc se souvient qui apparaît sur cet écran ?


Le 13 juillet 2012 sortait The Imposter. Récit impossible d'une usurpation d'identité où Frédéric Bourdin témoignait mais incarnait aussi son propre rôle dans les reconstitutions, créant ainsi des transitions hautement complexes éthiquement parlant. Le français de 40 rejoue son rôle d'un adolescent qui vole l'identité d'un enfant disparu. Les abimes se regardent et se voient en retour, inception ou poupées russes, ça n'a plus la moindre importance car le cinéma est un art du vertige, et quand il prend conscience de lui-même alors rien ne peut l'arrêter.

The Jinx est un documentaire sur la quête de vérité ou plutôt sur la création de la vérité. C'est ainsi que la série nous a laissé pendant presque une décennie sans réponses, à nous nourrir juste de chaînes d'infos en continue et de forums en ligne. La saison 2 ne maîtrise plus rien car la vérité est déjà sortie, on ne peut pas retenir l'information d'une condamnation ou d'une mort comme on ne peut pas la spoiler. La vérité est ailleurs, et on se fiche bien de savoir où. Il reste ici un divertissement, qui commence dès les premières notes de l'excellent générique signé Eels, lancé après des phrases bien senties. Robert Durst le dit lui même quand dans un accès de folie il veut participer à une contre enquête :

Je vous ai menti à vous, et ce n'est pas grave.
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le 11 févr. 2025

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Kaptain-Kharma

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