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On entre là comme on tombe dans un trou noir — sans trop comprendre d’où ça vient, ni jusqu’où ça va descendre. Cœurs noirs, création de Corinne Garfin et Duong Dang-Thai, s’installe d’emblée dans un réalisme poussiéreux, nerveux, jamais décoratif. Pas de surcadrage moral, pas de soldat-propagande — juste des visages fatigués, des corps tendus comme des câbles, et ce silence pesant qui précède les décisions trop grandes pour les hommes qui les prennent. La guerre ici, c’est une chose sans forme claire, un clapotement sourd derrière les paupières.
On croit reconnaître des schémas — mission spéciale, infiltration, rançon à l’ennemi — mais la série sabote tout automatisme. Elle déplie lentement ses enjeux comme on ouvre une lettre trop longtemps laissée scellée : les mains tremblent un peu, et l’encre a coulé. La mise en scène (signée Ziad Doueiri, entre autres) suit cette tension sans ostentation, caméra proche, parfois trop, collée au souffle, à la sueur. On s’y sent prisonnier, presque complice, parfois même coupable sans savoir pourquoi. C’est une série où l’air manque, souvent.
Les visages — Nicolas Duvauchelle en tête, mâchoire serrée, regard vidé — ne cherchent pas l’effet. Ils tiennent, c’est tout. On ne sait pas très bien ce qu’ils pensent, et c’est ça qui travaille. Derrière l’économie des mots, il y a une humanité broyée, qui tient debout presque par accident. Marie Dompnier et Tewfik Jallab, eux aussi, creusent des silences denses, comme s’ils parlaient un langage que l’action ne peut pas traduire. Et ça résonne. Pas de punchlines — des regards. Et puis, des absences.
Le rythme n’est pas celui d’un thriller. Il est fait de saccades, de replis, de tensions inachevées. Une scène d’attente peut devenir plus douloureuse qu’une fusillade. Ce qui tue ici, c’est moins la balle que le temps entre deux ordres. L’écriture (Sophie Maurer, Thomas Rio) épouse ce flou : dialogues qui se coupent, décisions prises trop vite — ou pas du tout. C’est ça, l’étrangeté : on avance dans un brouillard tactique et moral, et on sent que c’est juste. Tragiquement juste.
Et puis... il y a cette façon d’éviter l’héroïsme comme on évite un piège. Pas de glorification. Le réel, le vrai, est rugueux, bancal, sale. La ville tremble sous des néons morts, les couloirs résonnent de non-dits militaires, et la caméra, parfois, avance comme une mémoire trop lourde. Cœurs noirs ne raconte pas la guerre, elle la rumine. Ce n’est pas du divertissement. C’est une brûlure lente. Et elle ne guérit pas.