Bon, voilà, je suis tombé dans les séries. Je ne voulais pas car je juge ça trop chronophage. J'ai trop faim de culture cinématographique, et ai trop conscience de ma relative inculture (comme toute personne qui commence à connaître un domaine) pour consacrer des heures à des séries, dont je subodore le caractère addictif.
Bref. Voilà que, tout de même, je regarde ce que vaut ce Black Mirror (BM) dont on parle beaucoup, en profitant de l'abonnement Netflix de ma compagne. Elle m'indique les meilleurs épisodes selon elle, pratique ! Car je ne compte pas tout regarder. Cette critique en comporte sept.
Saison 1
Episode 1
Premier épisode de la série, Hymne national n'est pas le meilleur. Un Premier ministre se voit contraint, pour sauver une princesse très populaire, de s'accoupler avec une truie devant les caméras. Un peu gros quand même. Tout le monde va se montrer d'abord scandalisé, avant que les médias fassent monter la sauce. On a là une critique assez convenue des tabloïds anglais et de leurs rejetons 2.0., les chaînes télé à scandales et les réseaux sociaux toujours à l'affut de ce qui fait le buzz. Finalement, tout le monde va espérer que notre Prime minister le fasse. Il va donc s'y résoudre. L'Angleterre à l'unisson va être devant son poste télé, bouche bée, entre fascination et répulsion, pendant que le preneur d'otage libère sa proie, sûr que personne ne la remarquera, les rues étant absolument vides. Chose intéressante, on découvrira que le doigt sectionné pour faire basculer l'opinion n'était pas celui de la princesse mais celui de son bourreau (au prix d'une invraisemblance : un doigt d'homme et un doigt de femme, ce n'est pas pareil). Et le terroriste se suicidera, ayant accompli "la première œuvre d'art [pour le moins conceptuelle] du XXIème siècle".
Le voyeurisme des spectateurs a été maintes fois montré au cinéma, et plutôt mieux, par exemple dans Le prix du danger d'Yves Boisset ou, plus récemment, par Quentin Dupieux dans Rubber. Bien aimé, malgré tout, l'histoire de la journaliste qui envoie des teasers sexuels à un membre du staff gouvernemental en échange d'infos : on la voit photographier sa poitrine dans les toilettes ; puis, lorsque les enchères montent, s'enfermer de nouveau aux toilettes pour une ellipse savoureuse : on entend juste le zip d'une fermeture éclair et le clic d'une photo. BM comporte souvent ce genre de subtilités.
Episode 2
Je ne regarde pas les programmes de type The Voice mais j'en ai comme tout le monde déjà vu des extraits. L'émission Hot Shot m'a semblé parfaitement réaliste, avec sa mise en scène pour faire montre la sauce et ses trois examinateurs élevés au rang de dieux, oscillant entre cruauté implacable et émerveillement excessif.
15 millions de mérites commence pourtant tout autrement : on y suit un jeune Noir, Bing (l'excellent Daniel Kayuula, révélé par Jordan Peele), qui e ses journées, comme tout le monde, à pédaler et à acquérir des accessoires pour son avatar, en surveillant son compte. Sur les vélos d'appartement, on choisit des vidéos ou des jeux d'un geste de la main. En pédalant, on gagne des points. La vie des citoyens se résume donc à pédaler (métaphore du travail) et à consommer des images. On y est déjà quasiment, non ? En-dessous de ces prolétaires trimant sur leur vélo, les sous-prolétaires chargés de la propreté peuvent se voir traînés dans la boue sans possibilité de réagir. Tout cela est charmant.
Bing tombe un jour amoureux de la belle Abi, et plus encore de sa voix. Abi, comme son chant, est authentique, naturelle, chose devenue proscrite (on ne peut ainsi pas conserver un vrai objet plus de 24h). Bing ayant un capital de 15 millions de mérites hérité de son frère prématurément décédé, il est prêt à en faire profiter Abi afin qu'elle puisse s'inscrire à Hot Shot. Abi chante bien, mais elle est plus belle encore : elle sera, estime le jury, plus à sa place sur la chaîne érotique WraithBabes. Toujours mieux que pédaler non ? Telle est la promesse tentante de la célébrité. La pression de la foule (les avatars reproduisant dans la salle les réactions des spectateurs chez eux) fait le reste : Abi accepte. La voilà enchaînée à des traitements sexuels dégradants. Bing, lui, est contraint de regarder Abi se déshonorer car tout citoyen qui n'a plus assez de points est obligé de regarder la chaîne porno ! Une idée assez maligne.
Bing, révolté, pédale pour regagner de quoi s'inscrire au télé-crochet, parvient à participer, peut enfin crier sa haine en menaçant de se suicider. Beau moment de rage joué par Kayuula. Mais, on le sait, lorsque le système est agressé, sa réaction n'est pas d'éliminer l'agresseur : mieux vaut le récupérer. C'est ce que fait le sardonique Hope, en le félicitant pour ce moment d'une rare authenticité et en lui proposant deux tranches hebdomadaires sur sa chaîne. Ainsi Bing finit-il par jouer le jeu du système qu'il dénonçait, par goût du confort et de la célébrité. Assez signifiant. On regrettera simplement une image parfois laide et la banalité d'une séquence façon clip, celle où Bing regagne ses 15 millions de points.
Episode 3
Retour sur images, c'est l'idée d'une puce implantée derrière l'oreille qui enregistre tout ce qu'on vit, venant mettre à bas l'harmonie conjugale. Un couple se retrouve à une soirée entre amis. L'un des invités est un beau parleur, provocateur, imbu de lui-même, agaçant. En plus de ses nombreuses conquêtes, il se vante de préférer se masturber en revivant ses étreintes ées que de nouer de nouvelles relations. Moins fatigant. C'est aussi ce qu'on verra faire notre couple : plutôt que de prendre le risque inhérent à tout coït, mieux vaut se reer un moment réussi. L'une des invitées du repas n'a plus d'implant, ce qui épate tout le monde, un peu comme moi quand je révèle que je ne possède pas de téléphone portable. Les souvenirs biologiques sont tellement moins précis ! Eh oui... Le dîner s'achève et débouche sur une scène de jalousie. Car madame n'a pas tout dit s'agissant du macho irritant. L'idée est bien exploitée, notamment ce moment savoureux où Liam ree en boucle le moment du repas où sa femme a ri à une blague idiote du rival. "On est d'accord que ce n'est absolument pas drôle ?" prend-il sa baby-sitter à témoin. Plus loin, il va découvrir que la liaison avec sa femme dura jusqu'à une époque récente, et que leur enfant pourrait bien ne pas être de lui. Il forcera sa femme à visionner sa faute. Délicieusement cruel.
Saison 3
Episode 1
Chute libre s'attaque sous un autre angle au sujet de la dictature des réseaux sociaux. Un mix du modèle américain caractérisé par la course aux like, et du modèle chinois qui voit chaque individu noté. Comme nous sommes aux Etats-Unis, ce n'est pas le régime autocratique de Xi qui surveille chaque citoyen : la dictature est celle de tous par tous. Rappelons que Facebook est né ainsi : the Facebook, à l'époque, c'était une notation publique des filles par les garçons au sein d'un college. Dans cet épisode, chacun voit apparaître la cote actuelle de celui ou celle qu'il croise. Un individu mal noté est suspect, à l'instar de cette camionneuse, seul personnage "normal" de l'histoire, que notre héroïne hésite à redre dans sa cabine alors qu'elle fait du stop.
Lacie Pound rêve d'habiter dans une résidence luxueuse mais celle-ci n'est accessible qu'à celles ou ceux qui ont une note au moins égale à 4.5/5. Elle est à 4.2 mais son coach le lui a assuré : en étant bien notée par des gens eux-mêmes bien notés (car, perversité du système, les like sont qualitatifs), l'ascension est acquise. Or, il se trouve que son "amie" d'enfance Naomi l'invite à son mariage, où une foule de "4.5 et plus" est attendue. Plus qu’à peaufiner un discours mouillé à souhait. Cendrillon se voit déjà dans le carrosse, elle a d'ailleurs imprudemment versé la caution de l'appartement de rêve.
Il y avait quelque chose du conte de fées dans l'ouverture de l'épisode : Lacie évoluait dans un environnement tout de sucre et de rose, digne de Barbie, où l'on ne fait que s'adresser des amabilités afin d'être bien noté. On prend en photo sa tasse de café ou le doudou de son enfance pour récolter des cinq-étoiles. On s'essaie à cuisiner une tapenade puisque ça a marché pour la très populaire Naomie. Mais gare à celui dont la cote baisse car le cercle vertueux devient aussitôt vicieux. C'est ce qui est arrivé à ce collègue de bureau qui en fait des tonnes pour remonter sa note - Lacie avait apprécié, mais bien noter un "mal noté" est mal vu : notre héroïne se ravise donc. Elle ne va pas tarder à être victime de ce système. Un frère avec qui on se dispute, une femme qu'on bouscule dans la rue, une préposée à l'aéroport sur qui on s'énerve : les mauvaises notes se succèdent et la spirale dégradante se met en marche. Mal noté, on n'a plus accès qu'à une voiture bas-de-gamme, impossible à recharger, et plus personne ne veut vous aider. Lacie finira pourtant, couverte de boue, par accéder au mariage de sa copine "Ney-ney" et à y faire un scandale (dans une scène un peu trop longue et assez mal écrite...) : de quoi atterrir en prison, seul lieu de liberté finalement, puisque seul endroit où l'on peut insulter à sa guise son voisin de geôle. Lacie est ée d'une cage dorée à une prison toute grise mais plus authentique : belle idée pour finir.
Episode 3
Que votre téléphone ou votre ordinateur puisse filmer ce que vous faites en toute intimité est un cauchemar connu. Le cinéma l'a déjà exploité : citons notamment Aux yeux de tous de Cédric Jimenez. Tais-toi et danse met en scène un ado qui s'est masturbé après avoir visionné des photos pornos et un quinqua rangé qui a donné rendez-vous dans un hôtel à une professionnelle. Chacun des deux est menacé de voir divulguer ces activités sur le net. Pour Kenny, l'ado, c'est la honte assurée, pour Hector, le bon père de famille, c'est le divorce en vue et l'assurance de perdre la garde de ses enfants chéris. Si l'un et l'autre veulent sauver leur peau, ils sont tenus de se conformer aux ordres : Kenny livre ainsi un gâteau d'anniversaire à Hector, celui-ci en extrayant un flingue destiné à un braquage. Quelques intermédiaires trempent dans la combine : une femme laisse les clefs de sa voiture dans un parking, un type livre le gâteau à Kenny, un autre est tenu de se battre à mort contre notre ado angoissé. La femme est une cadre qui risque d'être éclaboussée par un scandale, le deuxième a commis quelque action honteuse non explicitée, le troisième a versé dans la pédopornographie. Tout le monde obéit pour sauver son job ou son honneur. Puisqu'on est dans BM, la technologie s'invite, sans anticipation ici puisqu'on use surtout du GPS et d'un drone.
La bonne idée réside dans la fin : chaque bon petit soldat verra sa faute dévoilée malgré tout. Cruel et grinçant, à l'image du dessin de bonhomme apparaissant sur l'écran. Cet épisode, à l'instar du tout premier, verse un peu dans le too much avec l'injonction faite à l'adolescent de braquer une banque puis de se battre à mort. Il contient, comme souvent, une savoureuse ellipse (l'onanisme de Kenny, qu'on voit dégrafer sa ceinture puis directement se laver les mains au lavabo et sentir ses mains), mais nous afflige aussi de quelques plans assez laids (la course de vélo de Kenny pour être à l'heure au rendez-vous du gâteau). Un épisode dans la moyenne, sans plus.
Saison 4
Episode 2
Archange traite de l'obsession sécuritaire des parents vis-à-vis de leur progéniture. La technologie permet de savoir à tout moment où est son enfant : de quoi rassurer les anxieux - les anxieuses surtout. Une tendance qui commença avec les babyphones et ne fit que s'accentuer à mesure qu'on équipait les bambins de smartphones. La société Arkangel propose mieux encore : en implantant une puce dans le cerveau de Sara, on peut déclencher une alerte en cas de stress, brouiller la vue de la personne exposée à la violence et même visualiser ce qu'elle vit. Pour Marie, qui a eu peur pour sa fille dès sa naissance puis lors de sa disparition dans un parc public, la proposition est tentante. Son vieux père est sceptique (comme tout vieux ?...). Le spectateur, lui, se doute un peu de ce qui va advenir...
Au départ, comme toute innovation technologique, c'est ludique : Marie joue à cache-cache avec sa fille en suivant sur sa tablette le regard de sa fille. C'est d'abord la fonction de brouillage qui montre ses limites en soustrayant l'enfant à toute agression : la vraie vie, ce n’est pas ça. Marie, sur les conseils d'un psy, commence par désactiver cette option afin que sa fille sache ce que c'est que le sang par exemple. Lorsque Sara grandit, sa mère se résout même à abandonner sagement la tablette pour ne plus la tracer ou l'espionner. Mais, c'est le sujet permanent de BM, la technologie est une drogue : le jour où Sara ne rentre pas à l'heure prévue, Marie ne résiste pas à ressortir le gadget. Paf, elle tombe sur sa fille en plein dépucelage, susurrant des phrases porno à son jeune amant. Plus tard, ce sera la cocaïne. De quoi contraindre le petit copain à cesser de voir sa fille puis, par précaution, piler une pilule du lendemain dans le traditionnel yaourt du matin. Sara va découvrir tout cela, à sa grande fureur bien sûr.
Comme toujours, on trouve dans cet épisode de chouettes ellipses : Sara grandissant entre deux allers-retours de balançoire, puis entre chaque age dans sa rue dans un sens et dans l'autre, pour finir adolescente, nullement effrayée par le chien qui aboie ; une scène dans un cimetière pour nous faire comprendre que le père n'a pas survécu à son AVC. L'image, en revanche, est parfois moche : Jodie Foster, qui signe la réalisation de cet épisode, adopte parfois une esthétique de spot publicitaire (dans la scène autour du feu de camp par exemple), et abuse des gros plans (dans la scène juste après l'amour entre Sara et son partenaire). Fatalement, certains trucs des précédents épisodes sont recyclés : ici la puce dans le cerveau qu'on avait dès la saison 1 (Retour sur images). Cet épisode convainc assez, mais on en retire la sensation que le sujet de la surveillance parentale aurait pu être plus finement exploité. Comme souvent, la fin est malgré tout bien vue : d'une part la tablette est devenue inutilisable, d'autre part on voit Sara faire du stop et monter dans un gros camion. Typiquement le genre de situation à risques, que sa mère ne pourra plus contrôler.
Episode 3
L'argument de Crocodile n'est pas vraiment neuf. Un cycliste est renversé par un couple bourré au volant. Pour sauver sa peau il balance le corps dans un lac. Mais le remords travaille Rob qui, des années plus tard, veut au moins révéler à la veuve du cycliste que son époux ne reviendra pas. Sauf que Mia, sa compagne de l'époque, est devenue une architecte renommée, a fondé une famille, et qu'elle n'entend pas mettre tout cela à mal. Alors elle tue son ancien complice. Ce sera ensuite le tour de Shazia, une enquêtrice trop curieuse, puis du mari de celle-ci qui en sait trop, et même de leur bébé - hors champ.
L'engrenage fatal, maintes fois là aussi montré au cinéma, est ici repris avec quelques invraisemblances : la voiture de Shazia, pas vraiment vieille, qui ne veut plus démarrer au moment où elle veut s'enfuir ; le mari qui ne détecte pas la présence de sa meurtrière dans la même pièce juste derrière lui. Le côté technologique, c'est une machine qui permet de visualiser les souvenirs - qui rappelle, de nouveau, la puce enregistrant tout ce qu'on vit, dans l'épisode de la saison 1. On saluera encore deux belles ellipses. La première lorsque Mia tue Shazia avec une bûche : la caméra reste à l'extérieur, on entend juste le bruit sourd des chocs successifs. La seconde pour conclure la série : les policiers sur la scène du crime lancent qu'il n'y a plus qu'une chose à faire, solliciter le détecteur de souvenirs, avant de s'emparer du... cochon d'Inde, offert plus tôt par son mari à Shazia, dont on comprend alors l'importance. Dans la scène suivante, les flics sont venus cueillir notre meurtrière au concert angélique de son fils. Pas mal. Bien aimé aussi la façon dont l'enquêtrice remonte le fil jusqu'à Mia : un concertiste renversé par un camion de pizza (sans chauffeur bien sûr !) se souvient d'avoir croisé une jolie fille, ladite jolie fille se souvient d'une lueur dans l'immeuble d'en face, le dentiste de cet immeuble qui avait pris en photo un mec nu a aussi vu une femme à sa fenêtre, cette femme c'est notre architecte. Avec une photo, on retrouve la personne parmi des milliards d'humains - on n'en est peut-être pas loin. On avait déjà cela dans Archange. Saluons enfin les images superbes de cet épisode-là, contrairement au précédent : le site grandiose où habite l'architecte (au Canada ?), la baie vitrée de sa luxueuse demeure traversée par des reflets, ou encore l'édifice très photogénique où l'architecte vient donner sa conférence. Assez léché formellement, ce qui ne gâche rien.
Saison 5
Episode 2
Avec Smithereens, retour à l'addiction générée par les réseaux sociaux, d'une façon différente que dans Chute libre. Un ancien enseignant a perdu sa fiancé dans un accident de voiture en raison de cette addiction : un coup d’œil à son téléphone en conduisant, et c'est le drame. Catherine Corsini avait bien montré cela dans Trois mondes. Chris a beau participer à des cercles de paroles, façon Alcooliques Anonymes, il ne s'en remet pas. Sous une fausse identité, il fait le taxi devant le siège londonien du réseau social. Son but ? Prendre en otage un cadre de cette boîte pour obtenir d'avoir au bout du fil le big boss californien, Billy Bauer, sorte de Mark Zuckerberg de Smithereen. Problème, Jaden, l'otage, n'est qu'un obscur (sans jeu de mots) stagiaire, ce que ne laissait pas présager son costard impeccable. Chris va pourtant persévérer dans sa revendication, même cerné par la police au milieu d'un champ très esthétiquement parsemé de pylônes.
Le pitch est des plus classiques, avec négociateur, témoins qui génèrent des fuites dans les réseaux sociaux et snipers en embuscade. Quelques idées, du créateur Charlie Brooker qui signe tous les scénarios, sont toutefois bien vues : avec leurs fameuses datas, les gens de Smithereen qu'on voit évoluer en Californie en savent bien plus que Scotland Yard ; et le big boss, aux allures de Jésus retiré au désert pour une cure de silence, est croquignolet. Il insiste pour prendre en ligne notre Chris, contre l'avis de son staff et du FBI, et ne peut que reconnaître que le monstre qu'il a créé lui échappe à présent totalement. Assez réussi. De même que, comme souvent avec BM, l'épilogue : avant de mettre fin à ses jours, Chris a demandé à Bauer de er le boss d'un autre réseau social, Persona, afin qu'une femme, rencontrée dans le cercle de paroles et avec qui il avait couché, puisse obtenir les identifiants et mot de e de sa fille suicidée. Au moment où un sniper de la police presse la gâchette sur Chris, la femme accède au compte de sa fille, ce qui lui permettra, peut-être, de comprendre son geste. Pour le reste, ce Smithereens tombe dans les travers d'autres épisodes : abus de gros plans, ici sur Chris, et d'effets tire-larmes, Andrew Scott qui incarne notre héros se répandant en grandes eaux. Quant aux plans faits par des drones, ils tirent la réalisation vers le banal.
Saison 6
Episode 1
Joan est horrible. Une jeune femme ordinaire, cadre chez Sonicles, voit un jour sa vie reproduite en temps quasi réel par une série télévisée. Joan is awful : telle est le titre, accrocheur, de ce nouveau programme. De la télé réalité 2.0, avec cette innovation de taille : sans demander son avis à l'intéressée ! Car Joan (Annie Murphy, au jeu plein de tics de visage typiquement américain) ne le sait pas mais en cliquant sur "accepter les conditions générales", elle a consenti à l'exploitation de sa vie. Trop facile : qui lit les dizaines de pages des conditions générales ? Personne.
Du jour au lendemain, notre infortunée héroïne voit reproduit tout ce qu'elle a vécu les dernières 24h, repris par des acteurs. C'est la célèbre Salma Hayek qui l'incarne dans la série. Le premier jour, Joan a successivement dû renvoyer une jeune employée sans autre forme de procès, confier à sa psy que son fiancé est fade au point de lui faire regretter Mac son ex, enfin accepter de prendre un verre avec ledit Mac et finir par l'embrasser. Le couple Joan/Krish découvre tout cela le soir dans son canapé. De quoi faire fuir le fiancé, puis griller Joan à son travail, licenciée comme la jeune femme éplorée la veille repartie son carton dans les mains.
Rien de plus ionnant que la vraie vie, n'est-ce pas ? Tout le monde raffole de ce programme. Joan consulte son avocate, qui l'assure que la chaîne Streamberry pourrait même "lui faire sucer un orang-outan" sans qu'elle puisse rien y faire. C'est là que Joan a l'idée d'aller déféquer dans une église, afin de faire réagir Salma Hayek.
Ce n'était pas la vraie Salma Hayek qui jouait mais un avatar créé par un ordinateur quantique, d'où la rapidité de la réalisation du programme chaque jour. Du deepfake tel qu'il en existe déjà. En revanche, subsiste un angle mort : comment Streamberry fait-elle pour tout savoir de la vie de Joan ? Grâce à son téléphone portable, lui explique-t-on. Il suffirait donc de vivre sans, non ? Ou de ne l'allumer que le moins possible. BM ne s'attarde pas sur cette possibilité.
Scandale dans une église donc. L'image de la star se trouve écornée par la dégueulasserie que Joan l'a forcée à incarner à l'écran, mais elle est, elle aussi, liée par contrat, comme le lui confirme son avocat. Plus qu'à tenter de raisonner Joan, qui est tout autant victime de la plateforme et ne veut donc rien entendre. Une seule solution : aller détruire l'ordinateur quantique au siège de Streamberry. Nul besoin d'entrer par effraction, la star peut demander un rendez-vous... "because you're Salma fuckin' Hayek" lui explique Joan. Jusque-là, l'épisode est excellent, notamment la mise en abyme teintée d'autodérision créée par le logo de Steamberry, copie de celui de Netflix.
Il chute hélas dans sa conclusion, qui en fait trop : Joan était elle-même le double numérique de la vraie Joan, son vrai nom étant Annie Murphy. Idem pour Salma Hayek, incarnée par Cate Blanchett dans le niveau n+1. Pour défendre un pitch aussi vertigineux, il eût fallu sans doute plus qu'un épisode de série. Dommage. Annie détruit l'ordinateur quantique, retrouvant ainsi son vrai visage. Dans une scène finale, on constate que les deux Joan, la vraie et Annie, toutes deux un bracelet électronique aux chevilles, sont devenues amies. Elles jouent enfin leur vrai rôle dans la vie. Une fin vraiment pas au niveau du très savoureux début.
Saison 7
Episode 1
Le meilleur épisode vu à ce jour reste Des gens ordinaires. Un couple américain vit heureux, elle institutrice lui technicien sur des chantiers, jusqu'au jour où madame fait un AVC. Elle serait condamnée, n'était cette nouvelle startup qui peut prendre la place du cerveau endommagé. Il faut simplement veiller à rester dans une certaine zone géographique, "là où ça capte". La perte d'autonomie qu'engendre la technologie, voilà un sujet central, que le consommateur lambda préfère oublier. Le service, évidemment, n'est pas gratuit. Les 300 $ mensuels demandés obligent monsieur à faire des heures sup' quotidiennement. Dans chaque épisode, il y a des ages outrés comme celui-là : car non, gagner 300 $ aux Etats-Unis ne requiert sûrement pas de se lever à 5h et de rentrer à 20h tous les jours...
Là où l'épisode prend un tour savoureux, c'est le jour où la femme commence à débiter des messages publicitaires. Messages qui peuvent virer au prosélytisme face à ses élèves, ce qui lui vaut d'être menacée de licenciement. Pour ne pas avoir les messages, il faut payer plus cher, contracter l'offre , ramenée ensuite au niveau Standard, avec une offre encore plus complète et plus onéreuse, Ultra-quelque-chose, pour le fin du fin : la machine à générer des sensations. Tout cela coûte une fortune. Le jour où le couple, étranglé, quémande une faveur, on lui répond que "le système ne le permet pas" - toujours avec un calme sourire. Parfaitement bien observé. Voilà monsieur contraint de consentir à des horreurs, comme boire son urine ou s'arracher les dents, pour gagner les sommes que des internautes promettent pour satisfaire leur voyeurisme. La seule issue sera la mort, façon Amour de Haneke. Très réussi.
A suivre...
7,5