Andor est le Blade Runner de Star Wars, son versant mature, sale et politique, le tout dans une ambiance crasseuse et crapuleuse. C'est aussi et surtout une série sur la résistance au fascisme, personnages et actions troubles ; Armée ombrageuse, armée des ombres.
La série, au-delà de son parti pris adulte, est surtout débarrassée de tout enjeu majeur.
Contrairement à Obi Wan, qui souffrait de son héritage, ici le sujet est celui d'un personnage secondaire d'un spin-off de la saga, autrement dit, un arc narratif secondaire dans l'immensité de cet univers et par rapport à la trame principale.
Ce faible enjeu, en apparence, la rend furieusement libre et décomplexée. Elle s'aventure là où Star Wars ne s'était pas aventuré.
A titre d'exemple, le premier épisode montre une maison close, un sujet bien trop adulte pour les films enfantins. L'épisode 4 ne présente aucune scène d'action, uniquement du développement de personnage. La série s'attarde sur de multiples arcs narratifs, y compris du côté de l'Empire, humanisant cette machine à broyer et la rendant tangible.
Car le résultat c'est que la dimension réaliste, tangible de cet univers. Les parallèles avec notre monde ne manquent pas, tant les mécanismes du totalitarisme et de la sédition sont implacablement représentés. On le voit dans l'épisode 6 lorsqu'un petit groupe rebelle attaque un coffre fort de l'Empire. Un grain de sable met en échec la machine impériale. On le voit dans les épisodes 8,9 et 10 où la prison d'Arkina 5 - on croirait le niom d'une mission de Jedi Knight - est en réalité une prison autogérée fondée sur la crainte d'une électrocution et qui ne repose que sur cette peur. C'est montré de façon fine et assez magistrale, l'épisode 10 étant d'une très grande qualité, l'un des meilleurs de toutes les séries Star Wars, un bijou de tension, avec notamment un guest, Andy Serkis qui livre une prestation remarquable.
A ce sujet, les acteurs sont excellents, notamment Genevieve O'Reilly en Mon Mothma, sénatrice, mère et épouse rebelle qui se sent isolée et déphasée avec ses proches, ou encore Stellan Skasgaard en Luthen, père de la rébellion, trouble et habité par sa quête. Diego Luna est également très juste. De façon générale, le casting est un vrai point fort.
Mais ce n’est pas que cela. La série a une écriture solide, avec quatre actes aux ambiances distinctes. L’un sur la jeunesse d’Andor, orphelin recueillie par, Marvaa, une femme insoumise, qui tue un policier et se retrouve poursuivi. Il fuit alors par l'entremise d'un agent rebelle, Luthen, sa planète, dans une première pétarade. Le second arc narratif c’est Luthen qui lui propose de participer au vol de la paye d’impériaux. Dès lors, la série s’élargit. Les renseignements impériaux s’intéressent à Andor, voyant qu’il n’est pas qu’un criminel mais fréquente de potentiels séditieux. Le casse a lieu, bijou de tension, avec des impériaux humanisés, des traîtres et des espions et avec une musique et des décors de toute beauté, filmés en Écosse. Là encore Cassian croise une figure rebelle : un jeune idéaliste qui lui enseigne la politique et qui meurt de ce son idéalisme. Le troisième arc c’est la prison, et l’évasion. Là aussi, Andor qui comptait errer et refusait de se battre se retrouve dans la lutte. Il va alors prendre ce qu’il a appris et galvanisé par Kino, le chef des prisonniers de sa section, et son sacrifice énorme, va encore apprendre. Le quatrième arc marque son retour sur la planète de sa mère adoptive qui est décédée et livre une dernière leçon holographique qui créée une véritable émeute et un massacre. Andor prend corps et bien pour la cause. Il est rebelle.
Voilà la qualité de l’écriture de cette série, sachant que les personnages secondaires vivent aussi des évolutions. Mon Mothma doit sacrifier et tout perdre pour son idéal. Même Syril et Dedra, l’un officier d’une corporation, l’autre officier des renseignements impériaux ont des enjeux développés. On voit parfois leurs proches, leurs familles, leurs supérieurs.
A la manière d’une spirale, les enjeux deviennent à chaque épisode toujours plus grands. Andor, anonyme, tue un policier anonyme et c’est la rébellion et l’empire qui s’impliquent petit à petit.
Ainsi, on a le droit à trois grandes batailles, à plusieurs escarmouches spatiales et à une scène postgénérique épique qui révèle tout le ton de la série : les prisonniers de l'empire sont ceux qui permettent la fabrication de l'Etoile de la mort. Ils créent leur propre asservissement.
Bien sûr, il y a quelques défauts : une certaine lenteur, notamment au début, quelques scènes éloignées de l'univers Star Wars et un peu fades, et un manque d'aliens flagrant, qui a été cependant expliqué - on en voit tout de même dans l'avant dernier épisode. Il y a quelques moments faibles aussi ou déceptifs : l'intrigue avec Mon Mothma avance peu, tout comme celle du méchant Syril, le lien entre Cassian et Luthen est peu clair, et certains personnages sont évacués aussitôt introduits. On notera aussi que les recherches de la soeur de Cassian sont oubliées presque aussitôt par celui-ci, ce qui est bien dommage, l'introduction de son enfance servant finalement à peu de choses, si ce n'est à introduire Marvaa, sa mère adoptive. Plus encore l'assertion de Cassian à Jyn Erso dans Rogue One : "je suis dans la lutte depuis que j'ai six ans" apparait particulièrement fausse a posteriori, Cassian n'entrant que tardivement dans la rébellion.
Fort heureusement, la musique, les différentes planètes - une planète prison, une planète touristique (très original pour le coup) et d'autres, où l'on ressent la culture, les traditions, opprimées, oppressées, par des hommes qui doutent (épisode 6), et d'autres qui ne doutent pas (épisode 12), l'aspect réaliste et adulte (les stormtrooper ne sont déployés qu'en dernier recours et ils tuent sans pitié, l'empire torture de façon plus sadique encore), et le tout, sans jedis ou sith (bien que Palpatine semble planer sur les renseignements impériaux), assurent un spectacle de qualité.
On notera aussi les caméos, les allusions, et les petits wagons qui raccrochent l'ensemble à l'univers, avec cet aspect à la fois mature et jeux vidéo - certains ages semblent sortir de nos jeux d'enfance - qui font le sel de cet univers.
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La saison 2 reprend le concept d’épisodes tryptiques, proposant quatre arcs narratifs espacés d’un an jusqu’à Rogue One et elle est encore plus brillante et sombre.
Personne n’en attendait rien mais Disney devant le succès critique a mis les moyens. Et les moyens sont à la hauteur des ambitions. Par exemple, la scène d’introduction est une scène de cambriolage d’un t-fighter et est réalisée comme un film.
Brillante dans son ecriture, elle est aussi un impitoyable requisitoire contre le totalitarisme, poussant encore plus loin l’horreur impériale. Genocide, viol (scène glaçante et inattendue dans cet univers), assasinat et menaces d’opposants politiques ; plus que jamais l’empire s’expose. Et plus il s’expose plus la résistance se fait farouche. Même ses propres enfants sont victimes de l’empire. Les deux personnages Syril et Deedra sont sacrifiés pour l’empire. Leur zèle les ronge et l’empire n’a que faire du mérite ou de l’ambition. Il vous écrase tout autant, parce que vous n’êtes rien. Même le sinistre directeur du BSI en fait les frais.
Certains y verront de nombreux parallèles. Il y en a un évident avec le nazisme, à commencer par le premier épisode où le Directeur Krennic expose son projet de destruction planétaire dans une salle des conférences réplique du nid de l’aigle d’Hitler. L’usage de la radio et de vieux téléviseurs témoigne aussi de ce calque sur les années 30/40. Tout comme la planète Gorhman, réplique d’un Paris peuplé de maquisards et résistants aux accents terriblement français. Ici on reprend une inspiration chère aux créateurs de la série, Un village français. C’est une pure réussite et une plongée dans un film d’espionnage dont les trames sont complexes et nombreuses.
Certes la saison 2 reprend aussi les défauts de la première : quelques longueurs et intrigues secondaires oubliables mais elle frappe si fort que l’on oublierait volontiers ces scories.
Le discours de Mon Mothma au sénat est probablement le moment de bascule de la série, s’y rend ces petits rebelles visibles aux yeux du monde. Ce qui n’était que le préquel d’un spin off devient la grande histoire de Star Wars. Son évasion épique du sénat, tout autant comme par le massacre de Gorhman, prétexte inventé par les impériaux pour détruire et accaparer les ressources de la planète. Le triptyque finale est quant à lui un véritable film avec des séquences d’actions parfaites et une conclusion souvent douloureuses pour nos petites mains rebelles, notamment pour le fascinant rebelle ultra radical Luthen. Il se conclut sur le début de Rogue One, qui est sa continuité et sa conclusion. Exemple : K2SO, le droïde bavard du film est introduit et régale déjà par son cynisme.
Peut être la saison 2 aurait pu tenter quelques cameos. Mais c’est sa force. Débarrassé de la grande histoire, des gros personnages, elle s’y rattache tout naturellement avec une profondeur politique inattendue. Qui l’aurait cru de Disney ? Et pourtant…
L’armée des ombres ne s’est pas contentée de naître. Elle s’est levée.