C'est fou tout ce que tu avais à dire, Bret, et c'est fou comme tu le dis bien.
Si tu savais comme c'était difficile de ne pas pouvoir t'interrompre, parfois. Pour rire de ta mauvaise foi amusée, pour te forcer à approfondir tes avis jetés, pour s'émerveiller de certaines de tes histoires...
Et puis, tu donnes tellement envie de te confronter, de t'approuver, de te nuancer. Ce n'est pas un essai, c'est une invitation à la conversation. Tu le dis toi-même, tu aimes ça ; débattre, échanger, proposer, avec des gens de tous bords et de partout.
C'est étrange, ce livre, Bret. Trop léger pour être inoubliable, trop perçant pour être anecdotique.
Quand même, quand je vois toute l'énergie que tu déploies pour dire que tu t'en fous de Trump, ça me fait sourire. C'est paradoxal, tu comprends ? Tu vas et tu viens, tu divagues, tu racontes, tu décris ton époque, tes époques, tes New-York, tes espoirs, tes doutes... Et dans cette grande liberté, tu reviens beaucoup sur ce président que tu veux voir différemment. D'accord, tu vas me dire que c'est malgré toi, qu'on e en ton pays plus de temps que raisonnable à le ramener au cœur du débat, qu'on te conspue pour ne pas le haïr... Mais il me semble que tu aurais pu condenser cette volonté d'évitement. Là, tant de pages à dire que ce n'est pas si important, ça finit par le devenir. Et cette malignité à contourner ses détracteurs, à ne pas s'arrêter sur ses pires frasques, à vouloir transformer ses défauts en panache (ses écarts parfois puériles ne seraient que des provocations toujours maîtrisées ? On le dépeint incontrôlable et il ne serait que truculent ?) : attention, Bret, ça donne le sentiment de tourner parfois à l'élégie, toi qui martèles que tu ne le veux surtout pas !
Personnellement, j'adore les points de vue à contre-courant, et quand j'ai compris que tu nous emmenais dans ces eaux mouvantes, j'étais très curieux ! Je voulais découvrir comment celui qui a si piètre image chez vous et à fortiori chez nous avait pu en arriver là, et ne pas provoquer assez de colère pour être renversé dès ses débuts au bureau oval. J'attendais que tu nous surprennes avec des faits mis sous silence, avec des parts de bilans méconnus, avec des éclairages sur l'intérêt que nombreux lui portent encore tandis qu'il est méprisé si fort par ailleurs. Ce qui en fait une figure; si ce n'est une figure d'amour, une figure pittoresque.
Mais tes arguments et tes explications ne sont pas très convaincants, Bret. Tu parles à peine de politique, tu parais surtout amusé par le show. Et voilà que tu dégommes ceux qui s'élèvent contre lui (Springsteen, Streep, De Niro...), attaquant parfois la simple démarche plus que le fond de leurs discours.
De Niro, par exemple. On est d'accord, son "Fuck You" en pleine cérémonie n'était pas forcément la plus intelligente réplique de sa carrière. Tu te navres de son intervention.
Mais pourquoi ne la vois-tu pas comme un simple débordement viscéral ? C'est pourtant le genre de provoc' spontanée et simpliste que tu trouves attirante, chez le président.
Tu t'emportes contre cette insulte ciblée, et tu minimises celle de Trump contre les Mexicains qu'il a dépeint lors de sa campagne comme des violeurs ; tu affirmes qu'il ne l'a dit qu'une fois, comme si ça suffisait à établir qu'il n'y a là rien à prendre au sérieux. Où est cette indulgence, quand il s'agit des gesticulations parfois désespérées du show-biz ? C'est un establishment contre un autre, après tout. Regarde-les chacun avec le même recul. Un doigt d'honneur dans un clip ne vole pas moins haut qu'une saillie sexiste.
En revanche, tu m'as bien interpellé sur ta croisade pour raisonner tes concitoyens abattus par une élection démocratique. La façon dont tu décris leur incapacité à sortir du fossé où ce coup de tonnerre les a précipités a une valeur documentaire très intéressante, à mes yeux lointains. On ne fait que le pressentir, ici, mais à te croire vous vivez dans une nation à moitié effondrée. On se doute que ce n'est pas si simple, mais tout de même, tu dois donner envie à beaucoup de sortir du piège du marasme des résultats de la présidentielle pour aller de l'avant et ne plus subir cette époque. S'y confronter, peut-être, mais dans l'action.
Et te voilà soudain vieux jeu (et tu t'en fous complètement) à lancer des grands principes dans la lignée du bon vieux "On peut plus rien dire", navré qu'on se soit révolté contre de simples tweets que tu as produits. Mais Bret ! Tu dis toi-même que tu les écris en étant bourré, que tu prends un malin plaisir à les tourner de manière expéditive et rude, que tu t'éclates à faire de la provocation et à entraîner tant de réactions pour si peu. Et les réactions arrivent, forcément, et tu es pourtant dégoûté.
Tu préférerais vraiment qu'ils soient lus sans ion, qu'on se contente de quelques molles approbations? Tu t'es tant amusé à les écrire, et tu aimes tant les maintenir à vue sans censure; c'est bien pour ça, non ? Pour le plaisir de voir leur résultat. Decouvres-tu vraiment que certains expriment leur pleine liberté d'expression en hurlant leur affolement devant la liberté d'expression qui ne leur convient pas ?
Tu dis qu'il ne faut pas prendre tout ce cirque virtuel au sérieux; ne le prends pas autant au sérieux ! N'oublie pas la règle d'or, celle que je devine que tu as fait tienne : dans le fond, ces réseaux sociaux ne sont qu'une récréation, ou une antichambre d'expérimentation. On s'en tape ! Ce ne sont pas tes livres, ni tes scénarios.
Regarde : la demeure n'est pas encore en péril, James Gunn est finalement de retour chez Disney-Marvel, et plus hype que jamais, annoncé même chez DC ! Tu t'es affolé trop vite.
On ne te musèlera pas de sitôt, va ! Même Mister President se permet encore de canarder comme un lycéen vénère et sans filtre, sur son compte officiel.
Pourtant, j'avoue me désoler avec toi de l'étranglement de la parole publique. (Comprendre, celle des gens en vue médiatiquement. Puisque je considère qu'au contraire nous vivons une période où les anonymes vivent une liberté d'expression jamais connue dans l'histoire de l'humanité. Il n'y a qu'à regarder la décontraction avec laquelle on expose par exemple ses sympathies nazies ou ses appels au meurtre à côté des plus discrètes réactions citoyennes dans les forums ou dans les avis sur des articles qui n'ont parfois rien de sulfureux à la base)
Non, la prudence tremblante avec laquelle on vient se livrer dans tes podcasts me semble effectivement une tendance de l'époque. J'ai l'impression que nous avions davantage d'agitateurs complètement border et inassouvis, il y a peu. (Tu m'entraînes dans ton vieux jeu, Bret !) Et pour se marrer à grandes larmes, il faut bien risquer parfois qu'un couillon en roue libre fasse n'importe quoi et défonce les portes de la bienséance. Les plus grands auteurs ont su s'affranchir des limites, se rappelant finalement la vanité du mot.
Mais je suis sûr qu'il reste beaucoup d'électrons libres aux cerveaux en tempête, prêts à faire tanguer tes podcasts. Ne perds pas espoir, Bret !
Ça pourrait durer encore longtemps, Bret. Je bouillonnais souvent en te lisant, en bien comme en mal. Au moins, sois remercié pour ça ! Tu l'as prouvé, on peut encore balancer des choses mal vues à grand tirage dans le monde entier, jusque dans les cénacles qui les désapprouvent !
Sois remercié pour tes souvenirs de spectateurs de cinéma, si plaisants à lire. Pour ta vision de New-York et ton regard "réactionnaire-inversé" (ce n'est pas "On était mieux quand les rues étaient plus sûres et le quartier mieux fréquenté" mais "On se marrait mieux quand c'était canaille et pas gentrifié, crado et obscur"). Pour avoir écrit, sans une conviction aveuglante (mais avec sérieux), cet épais "White" qui se dévore d'une traite. Pour ton récit d'une idée fabuleusement absurde, et de comment elle échoua : l'idée de transformer une ballade écœurante de tueur en série en comédie musicale grand public. Et pour ton honnêteté à dire ce qui t'attirait le plus dans le projet. Pour tes confessions sur cet "American Psycho" dont l'ombre écrasante de grand choc de la littérature (peut-être écrit trop tôt dans ta carrière) te poursuit partout, dans chaque ruelle, dans chaque salon de presse... Quelle belle révélation : le jour où ton personnage incroyable Patrick Bateman est devenu un tueur, ce qu'il n'était pas de prime abord. J'en suis resté coi. L'air de rien, entre deux verres, un projet de roman brillant et désabusé sortait de ses gonds et allait devenir un monument culturel du XXe siècle.
Et puis pour parler encore de ce Bateman insondable. Tu ne fais que dire qu'il ne fallait pas le prendre au pied de la lettre, que ce n'était pas un narrateur très fiable, etc... Tu dis aussi qu'il portait une grande part de toi.
Alors, Bret, sérieusement... Tu me vois venir. Je l'ai vu, ton message caché. Dis-moi donc : dans ce dernier opus dont nous causons, proclamé autobiographique et sincère; où est la vérité, où est l'invention ?